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Jeudi 13 novembre, 2025
L’intelligence artificielle ne doit pas remplacer les journalistes

(Stéphane Martin, 13 novembre 2025) – Vous avez sans doute entendu parler de cette histoire à Sherbrooke où un média qui utilise l’intelligence artificielle pour rédiger ses articles, plagie du contenu provenant de vrais médias, et pire encore, invente de faux journalistes en leur attribuant des photos totalement fictives.
Dernièrement, l’auteur de ces lignes a été le premier à écrire un article sur la disparition du lait de vache Chalifoux des tablettes des épiceries, ainsi que l’arrêt de production du fromage en grains Riviera. Il n’aura fallu que quelques heures pour voir cette nouvelle copiée par l’intelligence artificielle et diffusée, sans mention de la source, sur une multitude de sites créés uniquement pour générer du clic.
Les citations ont été reprises textuellement, sans le moindre scrupule ni égard pour le travail journalistique qu’elles représentent, soit plusieurs heures de recherche, d’appels et de vérifications, et ce, sans aucun crédit, alors que le SorelTracy Magazine était le seul média à avoir obtenu des réponses directement de la Maison Riviera.
L’humain derrière la machine
En rédigeant ce texte, l’image de nos grands-parents remplacés par des robots dans les usines me revient en tête. L’analogie peut sembler exagérée, mais il y a une grande différence entre confier un travail mécanique à une machine et laisser un robot reproduire ce qui devrait normalement émaner de notre réflexion, de notre expérience et de notre esprit critique, ainsi que de notre responsabilité de transmettre une information juste, impartiale et vérifiée.
Il reste que le travail journalistique est bafoué par la multiplication de ces plateformes qui se présentent comme des médias. Dans certains cas, de vraies personnes se disent journalistes, mais ignorent complètement ce que ce métier exige. On les voit errer dans les conférences de presse, parfois poser une question, pour ensuite laisser l’intelligence artificielle rédiger leurs textes dès leur retour au bureau.
Il est désolant de s’approprier le titre de journaliste quand on est incapable de comprendre et de produire un texte par soi-même. Il faut aussi un certain culot pour signer un article sans avoir l’honnêteté intellectuelle de faire mention qu’il a été rédigé, en tout ou en partie, à l’aide de l’intelligence artificielle.

Une question de respect
Dans le milieu journalistique, le respect entre collègues est une valeur fondamentale. Il n’est pas rare de voir un média citer un autre, reprendre une nouvelle ou s’appuyer sur un reportage déjà publié. C’est une façon de reconnaître le travail de l’autre, de souligner la rigueur de ses pairs et de nourrir la confiance du public envers notre profession.
Revenons sur la notion de plagiat, un mot lourd de sens dans notre domaine. Entre journalistes qui se respectent, il existe un code d’éthique clair : on cite nos sources, on crédite les photos et on rend à chacun la part qui lui revient. Ce n’est pas qu’une formalité, c’est une question d’intégrité professionnelle.
Le respect entre journalistes se manifeste aussi par la collaboration. Il arrive que l’on travaille main dans la main pour faire émerger une nouvelle d’intérêt public, que l’on partage des informations vérifiées ou que l’on se relaie sur le terrain. Ces gestes de coopération contribuent à la qualité de l’information et à la crédibilité de notre métier.
Parce qu’au-delà des exclusivités et des « scoops », ce qui unit les journalistes, c’est avant tout la quête d’une information vraie, honnête et respectueuse.
Dans un contexte où l’intelligence artificielle s’invite désormais dans les salles de nouvelles, j’ai demandé à deux collègues journalistes sorelois s’ils partageaient les mêmes inquiétudes que moi.
Ce qu’en pensent mes collègues journalistes
Le journaliste de la station radiophonique CJSO, Sylvain Rochon, se montre particulièrement inquiet, estimant que l’arrivée de ces technologies menace directement la vitalité de l’information locale et la survie même des salles de rédaction. « Comment ne pas s’inquiéter de voir l’univers médiatique s’effondrer, les salles de nouvelles se vider? Et des applications d’intelligence artificielle plagier, au profit de médias sans scrupule, les rares textes journalistiques encore produits. On doit tous, comme citoyens, s’inquiéter de ça. Et les pouvoirs publics prendre le taureau par les cornes. Combien nos gouvernements fédéral, québécois et municipaux investissent-ils, chaque année, en publicité, dans les médias, les médias locaux en particulier, pour qu’ils puissent faire vivre une salle des nouvelles digne de ce nom ? »
L’inquiétude est aussi partagée par le directeur de l’information au Journal Les 2 Rives, Jean-Philippe Morin, qui observe les effets directs de la désinformation sur les plateformes numériques. « Depuis que la plupart des vrais médias ont disparu des réseaux sociaux comme Facebook, ce sont des nouvelles venues de sources inconnues qui circulent et font le plus réagir. C’est ça qui est inquiétant, selon moi. Je demande peut-être au public d’être vigilant, d’aller vraiment vers les vraies sources d’information, de s’informer. Ce n’est pas toujours facile, ça demande souvent un effort d’aller vérifier, mais c’est primordial, parce que, justement, avec les fausses nouvelles qui fusent un peu partout, c’est plus difficile d’y voir la vérité. »
Sur le même sujet, je vous conseille vivement de lire la journaliste indépendante Marie-Ève Martel, qui s’est penchée sur la question.
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