Un Octobre mémorable

Court billet à l’auteur de Bozo les culottes

     [ Version définitive du texte publié initialement chez Vigile ]

 

« Qu’est-ce que l’on a fait de nos rêves ? »

Sylvain Lelièvre, Qu’est-ce que l’on a fait de nos rêves ? [1993] *

 

L’an deux mille huit de notre ère aura d’abord été l’occasion de la célébration des fêtes du quadri­cen­tenaire du foyer francien des Amériques : coeur et âme de la civilisation française en Nouveau Monde. J’ai nommé bien sûr la Cité de Québec – capitale nationale du pays des Félix Leclerc, des Hubert Reeves et des René Lévesque. Célébration cependant dont les « sommets », contre toute intelli­gence historique, sinon dignité, ont été incarnés – nonobstant leurs talents respectifs et la qualité de leur personne (et que nul ne conteste hormis pour la forme) – et par un Britan­nique et par la plus american (l’étonnante Alys Robi comprise) des chanteuses québécoises.

   

    Mais deux mille huit, outre le jubilé de Jos Monferrand (le tout premier titre du fils prodige de Natashquan) et les quarante ans du Parti Québécois (qui n’a pas forcé­ment bien vieilli, on n’en discon­viendra pas), c’est aussi le rappel à la mémoire (la fonction fait l’ « organe ») d’un grand cru millésimé. Soit 1928. C’est l’année en effet où la nation enfanta, à la faveur d’un fabu­leux vagis­sement d’espoir (– et d’Histoire), Gilles Vigneault, Pauline Julien, Gaston Miron, Raymond Lévesque et Monique Leyrac. Lesquels « paysants » totalisent quatre cents ans – « 1 fois 5 » nouvelle mouture – à eux seuls...

 

    Par ailleurs, Octobre, pour nous Québécois, c’est d’abord celui de 1970. C’est l’Occupation du territoire français fonda­mental de ces dites Amériques par la Canadian Army. C’est en quelque sorte la force nucléaire réquisi­tionnée pour anéantir un nid d’abeilles. Qui comme chacun sait, pourtant, ne sont pas inutiles, loin s’en faut, au sein de l’écosystème. Octobre. C’est la mémoire toujours vive parce que toujours actuelle, voire impérieuse, et nécessaire, d’un peuple en constante liberté surveillée.

 

Mais cela dit, que pourrait donc signifier, tout en un, et Octobre et 2008 ?

   

    Pour quiconque la devise du Québec – « Je me souviens », pour ceux qui ne s’en souvien­nent pas – ne constitue pas un simple assem­blage de lettres sans véritable signifi­cation, ce pourrait être - dans un jet unique, unifiant et signifiant - le double « événement » suivant : l’épiphanie parti­culière, parce que « octo­génisée », voire octoxy­génée, de Raymond et de Gilles. Lesquels conci­toyens personnifient deux de nos plus grands auteurs - compositeurs - interprètes, dont incidem­ment Québec 2008 se sera bien gardée quant à elle (et d’ailleurs en conco­mitance avec l’oubli non moins délibéré, sinon le déni, des vingt ans de la disparition de Félix et des dix ans de celle de Pauline le 1er même de ce mois) de célébrer le para­chè­vement (les 7 et 27 respecti­vement) de leur huitième décennie d’existence parmi nous.

   

    L’année du 400e anniversaire de la naissance de la nation québécoise en Amérique aura donc été, très manifes­tement, d’abord et avant tout, le théâtre Made in First Minister d’une puissante volonté géné­rale d’oubliance de l’essentiel. En clair : éradiquer les racines pour espérer chancrer les fruits. De l’avenir.

 

    C’est donc armé de la faible armada de ma propre mémoire citoyenne personnelle – par delà les trois fois vingt-cinq ans (eh oui !) de la grande Clémence, fille chérie du « fils déchu » et poète Alfred Desrochers, les soixante ans du Refus global et les trente ans de la mort (dans 48 heures, soit trois jours avant M. Alfred !) de l’immense Jacques Brel (qui aura écrit son Quand on n’a que l’amour en synchronie parfaite, deux œuvres de 1956 à jamais immor­telles, avec votre Quand les hommes vivront d’amour) – que je désire vous dire, et avec recon­naissance, Raymond Lévesque, que c’est bien à votre tour aujourd’hui, le 7 octobre, et ce dans les mots mêmes de Gilles, de vous laisser parler d’amour...

 

Jean-Luc Gouin

7 octobre 2008

 

 

* Émouvante chanson (de cet autre chantre douloureusement regretté) que j’ai pour la toute première fois entendue il y a très exac­tement quinze ans, cet octobre même, au théâtre Le Petit Champlain de Québec.

 

Nota Outre L’Osstidcho de la « gang à Robert Charlebois, Mouffe, Yvon Deschamps, Louise Forestier, le Jazz libre du Québec... » et les douces folies cégé­piennes aux allures d’un Mai d’outre-Atlantique, petit détail complémentaire autour de 1968 : Les 40 ans du PQ (alignement des planètes ?) remontent eux aussi au cœur dudit Octobre. Et très préci­sément, comme par surcroît, à mi-chemin entre 1928 et 2008, entre le 7 et le 27 tout autanτ. Bref, voilà sans doute de quoi faire tourner la tête à Tycho Brahé en personne.

 

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