Une chronique de
 Jocelyn Daneau

samedi 09 mai 2020

Décentraliser la Santé vers Pierre-De Saurel?

Cette chronique est une suite non prévue de la précédente : L’Hôtel-Dieu de Saurel et la Santé où la technique du judo. Elle vise à répondre à la question : « Y aura-t-il un mouvement significatif de décentralisation en matière de soin de santé et de services sociaux au Québec, pour ainsi assister au retour d’un Hôtel-Dieu d’avant la réforme centralisatrice de Gaétan Barette? »

Cette décentralisation est depuis plusieurs mois, une demande récurrente de notre classe politique portée par les maires de la MRC Pierre-De Saurel. C’est aussi l’un des principaux messages de la docteure Marie-Claude Blouin, ophtalmologiste à l’Hôtel-Dieu (Source : On a des choses à dire, CJSO). 

Malheureusement, outre des ajustements normaux et mineurs, la réforme Barette va poursuivre son chemin. Le ministère de la Santé et des Services sociaux (la Santé ci-après) est tellement monstrueux que le paquebot qui transporte la bête c.-à-d. la réforme fonctionne dorénavant selon sa propre logique et donc, sa propre énergie. On ne peut pas revenir en arrière au risque de rendre le patient encore plus malade. La réforme Barette est condamnée à réussir et nous avons collectivement intérêt à l’accepter. 

En fait, les 2 principales raisons derrière celle-ci sont encore bien présentes et elles viennent de se voir renforcer par la présente pandémie. 

La première raison relève des finances publiques. Plusieurs études démontrent que la productivité du travail au Québec est systématiquement inférieure à celles de l’Ontario, du Canada et de plusieurs États. Ce faisant, en 2018, le salaire moyen au Québec, tous secteurs confondus, était inférieur de 9 % à celui de l’ensemble canadien. Ainsi, le Québec pour supporter le fameux modèle québécois censé nous distinguer en matière de Santé, doit effectuer des ponctions moyennes plus importantes dans la rémunération de ses citoyens. Cet écart est d’autant plus amplifié, que le panier de services québécois qui est offert est supérieur à celui disponible dans l’ensemble des autres provinces. 

Ce qui a fait des Québécois, des citoyens globalement parmi les plus imposés et taxés au monde; ce qui est un frein à notre développement économique, dans une économie ouverte comme le Québec. Ce choix de société étant de plus en plus difficile à supporter, les gouvernements récents du Québec ont entrepris de réduire notre fardeau fiscal. Comme la Santé compte pour 50 % du budget de l’État, ce secteur devenait une cible de choix en termes de rationalisation des dépenses. 

Ce qui cadre avec l’orientation prépandémie de l’actuel gouvernement Legault, de remettre de l’argent dans les poches des Québécois. D’ailleurs François Legault avait toujours refusé de hausser les salaires des préposés aux bénéficiaires au nom de cette orientation; son mea culpa récent sur le sujet en est clairement la démonstration. 

Postpandémie, le déficit budgétaire du Québec (et du Canada) repartira à la hausse avec le rythme des dépenses actuelles. Il n’y aura pas plus d’argent pour la Santé. Surtout si comme je le soupçonne, François Legault veut maintenir les taux d’imposition et de taxes au niveau actuel. 

La seconde raison relevait voilà encore quelques années, de la science-fiction. C’est la croissance exponentielle de l’intelligence artificielle et des capacités (informatique) de numérisation (automatisation) des processus de travail dans tous les domaines. Appelez le tout réingénierie, « streamlining » c.-à-d. rationalisation ou ce que vous voulez, c’est un mouvement planétaire irréversible d’automatisation (ex. : Optilab, télémédecine, monitorage des fonctions vitales à distance, etc.). 

À ces outils informatiques de plus en plus puissants en termes de traitement de l’information est associé un ensemble de façon de faire en entreprise. On parle alors d’un autre terme anglais que vous allez adorer, le « downsizing ». Une opération qui consiste à éliminer une activité jugée non productive dans une organisation, sous la responsabilité d’un humain, pour la remplacer par son équivalent machine c.-à-d. un processus informatisé. Vous achetez sur Amazon, vous faites votre épicerie sur Métro mon épicier en ligne ou vous payez avec votre téléphone intelligent? C’est de ça qu’on parle ici. C’est une tendance de fond impossible à arrêter, qui fonctionne dorénavant selon sa propre logique et qui s’autoalimente par vague d’innovations successives. 

L’autre volet que cela implique, c’est que les capacités de traitement informatique phénoménales issues de l’utilisation de logiciels experts (Ex. : SAP au gouvernement du Québec) forcent le regroupement des activités opérationnelles et de gestion c.-à-d. la centralisation de celles-ci. 

Ce qui a permis par exemple, la gestion d’un seul contrat de produits laitiers au Québec pour les prisons, au lieu d’une multitude pour chaque région; au détriment de Chalifoux qui a perdu cet unique appel d’offres et ne peut plus approvisionner l’institution carcérale située dans sa cour arrière. Ce qui donne aussi des mégas structures à gestion centralisée comme les Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS).  

Tous les domaines de notre vie socio-économique sont touchés y incluant celui de la Santé et donc, la gestion de notre hôpital ici à Saurel, l’Hôtel-Dieu. 

À propos de la réforme Barette 

N’en déplaise, la réforme Barette est ce qu’il fallait faire avec le réseau de la Santé, dans une petite société comme le Québec concentré sur un territoire national unique. Une fois cela dit, la réforme est un échec pour au moins 3 raisons. 

La première, la principale : la gestion du changement qui était a priori un défi colossal a été un échec monumental. Une entreprise privée n’est pas une démocratie, c’est une hiérarchie avec une ligne d’autorité et à la limite, tu éjectes les employés qui ne veulent pas absorber le changement; c’est brutal. Dans la fonction publique à la sécurité d’emploi mur à mur, il en va autrement. Rapidement, le moindre changement organisationnel devient une affaire de politique partisane et d’affrontements syndicaux. Si vous ajoutez à ce mélange déjà explosif, une personnalité clivante comme Gaétan Barette, chaque jour amène sa catastrophe. 

La seconde, c’est que la performance des outils informatiques et de gestion n’a pas suivi le rythme des réorganisations administratives. Le témoignage mentionné ci-haut du docteur Blouin en est une illustration forte. Surtout lorsqu’elle parle des journées kafkaïennes de pompier de 12 heures d’un des administrateurs de l’Hôtel-Dieu, dont manifestement la seule autorité, c’est d’appeler à « Pierre-Boucher » pour demander l’autorisation de… 

La troisième raison, c’est que le capitaine du paquebot a été jeté par-dessus le bord. Je ne me ferai pas d’ami et je vous entends déjà crier, mais malgré tous ses défauts, le gouvernement Legault aurait dû rapatrier Gaétan Barette pour lui permettre de poursuivre son œuvre. Autrement dit, une réforme comme celle de la Santé, c’est le travail d’une génération (25 ans); cela ne se règle pas en 4 ans, la durée d’un mandat électoral. Désolé de l’écrire, et considérant sa personnalité abrasive, l’envergure intellectuelle de Gaétan Barette et sa connaissance fine du réseau de la Santé en font toujours la personne la plus apte pour poursuivre et terminer l’actuelle réforme. 

Suggestions pour Saurel 

Compte tenu de ce qui précède : non, il n’y aura pas de décentralisation en Santé. On comprendra donc qu’une pétition pour infléchir le cours des choses ne sera pas très utile. 

Je réitère donc ma suggestion contenue dans la chronique précédente. À savoir que la région de Saurel doit tout mettre en œuvre pour assurer une présence physique, citoyenne et engagée au sein de l’instance décisionnelle du Centre intégré de Santé et de Services sociaux de la Montérégie-Est, son conseil d’administration. Lequel comme il l’a été démontré n’est aucunement représentatif des citoyens de Pierre-De Saurel. 

Je rajouterais une autre suggestion, pour le long terme et pour assurer la pérennité de notre Hôtel-Dieu. Il faudrait que notre hôpital développe un domaine de spécialité (ex. : pneumologie) pour ainsi, forcer, les patients à venir à Saurel. Au simple plan de l’équité, ça ne doit pas uniquement toujours être à nous de « monter » Longueuil ou Saint-Hyacinthe pour nous faire soigner. 

Jocelyn Daneau, isolé et tanné de l’être, jocelyndaneau@gmail.com

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