Décentraliser la
Santé vers Pierre-De Saurel?
Cette chronique est une suite
non prévue de la précédente :
L’Hôtel-Dieu de Saurel et la
Santé où la technique du judo.
Elle vise à répondre à la
question : « Y aura-t-il un
mouvement significatif de
décentralisation en matière de
soin de santé et de services
sociaux au Québec, pour ainsi
assister au retour d’un
Hôtel-Dieu d’avant la réforme
centralisatrice de Gaétan
Barette? »
Cette décentralisation est
depuis plusieurs mois, une
demande récurrente de notre
classe politique portée par les
maires de la MRC Pierre-De
Saurel. C’est aussi l’un des
principaux messages de la
docteure Marie-Claude Blouin,
ophtalmologiste à l’Hôtel-Dieu
(Source :
On a des choses à dire,
CJSO).
Malheureusement, outre des
ajustements normaux et mineurs,
la réforme Barette va poursuivre
son chemin. Le ministère de la
Santé et des Services sociaux
(la Santé ci-après) est
tellement monstrueux que le
paquebot qui transporte la bête
c.-à-d. la réforme fonctionne
dorénavant selon sa propre
logique et donc, sa propre
énergie. On ne peut pas revenir
en arrière au risque de rendre
le patient encore plus malade.
La réforme Barette est
condamnée à réussir et nous
avons collectivement intérêt à
l’accepter.
En fait, les 2 principales
raisons derrière celle-ci sont
encore bien présentes et elles
viennent de se voir renforcer
par la présente pandémie.
La première raison relève
des finances publiques.
Plusieurs études démontrent que
la productivité du travail au
Québec
est systématiquement inférieure
à celles de l’Ontario, du Canada
et de plusieurs États. Ce
faisant, en 2018, le salaire
moyen au Québec, tous secteurs
confondus, était inférieur de
9 % à celui de l’ensemble
canadien. Ainsi, le Québec pour
supporter le fameux modèle
québécois censé nous distinguer
en matière de Santé, doit
effectuer des ponctions moyennes
plus importantes dans la
rémunération de ses citoyens.
Cet écart est d’autant plus
amplifié, que le panier de
services québécois qui est
offert est supérieur à celui
disponible dans l’ensemble des
autres provinces.
Ce qui a fait des Québécois, des
citoyens globalement parmi les
plus imposés et taxés au monde;
ce qui est un frein à notre
développement économique, dans
une économie ouverte comme le
Québec. Ce choix de société
étant de plus en plus difficile
à supporter, les gouvernements
récents du Québec ont entrepris
de réduire notre fardeau fiscal.
Comme la Santé compte pour 50 %
du budget de l’État, ce secteur
devenait une cible de choix en
termes de rationalisation des
dépenses.
Ce qui cadre avec l’orientation
prépandémie de l’actuel
gouvernement Legault, de
remettre de l’argent dans les
poches des Québécois. D’ailleurs
François Legault avait toujours
refusé de hausser les salaires
des préposés aux bénéficiaires
au nom de cette orientation; son
mea culpa récent sur le sujet en
est clairement la démonstration.
Postpandémie, le déficit
budgétaire du Québec (et du
Canada) repartira à la hausse
avec le rythme des dépenses
actuelles. Il n’y aura pas plus
d’argent pour la Santé. Surtout
si comme je le soupçonne,
François Legault veut maintenir
les taux d’imposition et de
taxes au niveau actuel.
La seconde raison
relevait voilà encore quelques
années, de la science-fiction.
C’est la croissance
exponentielle de l’intelligence
artificielle et des capacités
(informatique) de numérisation
(automatisation) des processus
de travail dans tous les
domaines. Appelez le tout
réingénierie, « streamlining »
c.-à-d. rationalisation ou ce
que vous voulez, c’est un
mouvement planétaire
irréversible d’automatisation
(ex. : Optilab, télémédecine,
monitorage des fonctions vitales
à distance, etc.).
À ces outils informatiques de
plus en plus puissants en termes
de traitement de l’information
est associé un ensemble de façon
de faire en entreprise. On parle
alors d’un autre terme anglais
que vous allez adorer, le « downsizing ».
Une opération qui consiste à
éliminer une activité jugée non
productive dans une
organisation, sous la
responsabilité d’un humain, pour
la remplacer par son équivalent
machine c.-à-d. un processus
informatisé. Vous achetez sur
Amazon, vous faites votre
épicerie sur Métro mon épicier
en ligne ou vous payez avec
votre téléphone intelligent?
C’est de ça qu’on parle ici.
C’est une tendance de fond
impossible à arrêter, qui
fonctionne dorénavant selon sa
propre logique et qui
s’autoalimente par vague
d’innovations successives.
L’autre volet que cela implique,
c’est que les capacités de
traitement informatique
phénoménales issues de
l’utilisation de logiciels
experts (Ex. : SAP au
gouvernement du Québec) forcent
le regroupement des activités
opérationnelles et de gestion
c.-à-d. la centralisation de
celles-ci.
Ce qui a permis par exemple, la
gestion d’un seul contrat de
produits laitiers au Québec pour
les prisons, au lieu d’une
multitude pour chaque région; au
détriment de Chalifoux qui a
perdu cet unique appel d’offres
et ne peut plus approvisionner
l’institution carcérale située
dans sa cour arrière. Ce qui
donne aussi des mégas structures
à gestion centralisée comme les
Centres intégrés de santé et de
services sociaux (CISSS).
Tous les domaines de notre vie
socio-économique sont touchés y
incluant celui de la Santé et
donc, la gestion de notre
hôpital ici à Saurel,
l’Hôtel-Dieu.
À propos de la réforme Barette
N’en déplaise, la réforme
Barette est ce qu’il fallait
faire avec le réseau de la
Santé, dans une petite société
comme le Québec concentré sur un
territoire national unique. Une
fois cela dit, la réforme est un
échec pour au moins 3 raisons.
La première, la principale : la
gestion du changement qui était
a priori un défi colossal a été
un échec monumental. Une
entreprise privée n’est pas une
démocratie, c’est une hiérarchie
avec une ligne d’autorité et à
la limite, tu éjectes les
employés qui ne veulent pas
absorber le changement; c’est
brutal. Dans la fonction
publique à la sécurité d’emploi
mur à mur, il en va autrement.
Rapidement, le moindre
changement organisationnel
devient une affaire de politique
partisane et d’affrontements
syndicaux. Si vous ajoutez à ce
mélange déjà explosif, une
personnalité clivante comme
Gaétan Barette, chaque jour
amène sa catastrophe.
La seconde, c’est que la
performance des outils
informatiques et de gestion n’a
pas suivi le rythme des
réorganisations administratives.
Le témoignage mentionné ci-haut
du docteur Blouin en est une
illustration forte. Surtout
lorsqu’elle parle des journées
kafkaïennes de pompier de
12 heures d’un des
administrateurs de l’Hôtel-Dieu,
dont manifestement la seule
autorité, c’est d’appeler à
« Pierre-Boucher » pour demander
l’autorisation de…
La troisième raison, c’est que
le capitaine du paquebot a été
jeté par-dessus le bord. Je ne
me ferai pas d’ami et je vous
entends déjà crier, mais malgré
tous ses défauts, le
gouvernement Legault aurait dû
rapatrier Gaétan Barette pour
lui permettre de poursuivre son
œuvre. Autrement dit, une
réforme comme celle de la Santé,
c’est le travail d’une
génération (25 ans); cela ne se
règle pas en 4 ans, la durée
d’un mandat électoral. Désolé de
l’écrire, et considérant sa
personnalité abrasive,
l’envergure intellectuelle de
Gaétan Barette et sa
connaissance fine du réseau de
la Santé en font toujours la
personne la plus apte pour
poursuivre et terminer
l’actuelle réforme.
Suggestions pour Saurel
Compte tenu de ce qui précède :
non, il n’y aura pas de
décentralisation en Santé. On
comprendra donc qu’une
pétition
pour infléchir le cours des
choses ne sera pas très utile.
Je réitère donc ma suggestion
contenue dans la chronique
précédente. À savoir que la
région de Saurel doit tout
mettre en œuvre pour assurer une
présence physique, citoyenne et
engagée au sein de l’instance
décisionnelle du Centre intégré
de Santé et de Services sociaux
de la Montérégie-Est, son
conseil d’administration. Lequel
comme il l’a été démontré n’est
aucunement représentatif des
citoyens de Pierre-De Saurel.
Je rajouterais une autre
suggestion, pour le long terme
et pour assurer la pérennité de
notre Hôtel-Dieu. Il faudrait
que notre hôpital développe un
domaine de spécialité (ex. :
pneumologie) pour ainsi,
forcer, les patients à venir
à Saurel. Au simple plan de
l’équité, ça ne doit pas
uniquement toujours être à nous
de « monter » Longueuil
ou Saint-Hyacinthe pour nous
faire soigner.
Jocelyn Daneau,
isolé et tanné de l’être,
jocelyndaneau@gmail.com |