Courriel Saurelois
Une chronique sur l'histoire de Sorel
de Roland Plante

28 août, 2019

En collaboration avec :

Régime seigneurial
Roland Plante avec la participation de Madeleine B. Lussier

Le régime seigneurial a perduré longtemps au Québec. Roland Plante raconte :

La première fois que j’ai entendu parler de rentes seigneuriales à payer remonte à la fin des années trente. Quatre générations vivaient dans la maison de mon arrière-grand-mère. Je m’en souviens car c’est la seule fois que j’ai vu ma grand-mère fâchée. Deux personnes se présentent à la porte pour réclamer une rente seigneuriale!

En effet, dans les monarchies d’Europe et leurs colonies, le Roi donnait des domaines à des Seigneurs. Le régime seigneurial fut introduit en Nouvelle-France en 1627 par la Compagnie des Cent-Associés. On veut encourager de grands propriétaires terriens à installer sur leur domaine des habitants. Ce régime définit les relations entre le seigneur propriétaire et ses censitaires.

Ces derniers concédaient des terres à des censitaires ou roturiers qui n’en devenaient pas propriétaire mais locataire. Le fleuve était une voie de communication, on partage les seigneuries de chaque côté. . Encore aujourd’hui, on peut voir à partir d’une carte satellite, les distributions des terres différant selon les seigneuries.

Regardons de plus près ce que signifient ces mots et les obligations que chacun a :

• Fief : Domaine concédé par le seigneur à son vassal.
• Concession : Accorder à quelqu’un une faveur.
• Censitaire : Qui paie le cens. (Une rente)
• Roturier : Qui n’est pas noble.

Le seigneur a l’obligation d’ériger un manoir. Il doit concéder et distribuer des terrains. Les louer et contrôler leur administration. Il doit faire construire un moulin à farine appelé moulin seigneurial et l’entretenir. En échange de ce service, le seigneur prélève un droit de mouture qui correspond au quatorzième minot et perçoit le cens et les rentes. Finalement, il doit assurer le peuplement de sa seigneurie et en faire la promotion.

Quant au censitaire, il doit aussi habiter dans la seigneurie et mettre sa terre en valeur. Il est obligé de faire moudre ses grains au moulin de la Seigneurie. Il doit payer le cens, (un loyer ou une taxe) sur ce qu’il produit ainsi que la rente acquittée en argent ou en nature. Au Québec, la rente équivalait à une demi-journée de travail pour chaque arpent de front concédé au censitaire. Quelques autres devoirs s’imposaient comme donner trois jours de corvée en cas de besoin. Le censitaire y fait moudre et paie un droit de mouture. Le seigneur charge des droits onéreux comme loyer annuel, le centième (cens) du fruit de son labeur, et une taxe s’il vend sa terre. Le seigneur peut exiger un droit de corvée et réclamer des journées de travail à son censitaire ce qui correspond à une somme importante d’argent.

Un défricheur gagnait entre 60 et 75 livres par année, un engagé avec 2 métiers pouvait gagner 100 livres par année. Un ouvrier spécialisé pouvait gagner jusqu’à 300 livres et un chirurgien, 150.

Le concessionnaire est tenu de mettre sa terre en valeur dans un délai prescrit. II doit avoir « lieu et feu », comme on disait. Aussi, il doit céder un espace pour les chemins et passage et il doit réserver pour la construction de navires le bois des chênes, lequel était très prisé par la métropole. Il est aussi tenu d’aviser le seigneur s’il découvre une mine. La France est en effet très intéressée par les mines.

Bien qu’il ait été appliqué de façon moins rigoureuse qu’en France, ce système seigneurial a constitué un obstacle au développement de la colonie. Un régime compliqué, lourd, copié sur la France métropolitaine et qui ne correspond pas nécessairement aux besoins d’ici.

Il faudra attendre le régime Anglais avant de voir s’amorcer des actions pour alléger et finalement abolir ce régime seigneurial. Louis-Joseph Papineau, par ailleurs en faveur du système seigneurial, possédait la seigneurie de la Petite-Nation dans l’Outaouais. Les Poupart de la région, parents des Saint-Ours par la mère, ont hérité de la seigneurie.

Déjà janvier 1667, Messieurs de Tracy et Jean Talon ont soumis un projet sur la justice et la distribution des terres au Canada. Une politique active de peuplement débute vers 1663, et la démobilisation du régiment de Carignan-Salières en 1668, qui a finalement vaincu les Iroquois, contribue au peuplement :

C'est donc la descendance issue d'un groupe assez restreint de pionniers, et non point l'abondance de l'immigration, qui a véritablement colonisé le Canada. La France n'a jamais eu de véritable politique colonisatrice et le Canada ne vit guère arriver que 250 couples ou familles comptant à peine 600 enfants.

La moitié des Français arrivés avant 1760 étaient des soldats ; au moins un sur six était un travailleur engagé. Les autres étaient des nobles (ou des aspirants à la noblesse) de plume ou d'épée, des prêtres et des religieuses, des esclaves, des prisonniers ou des réfugiés, des pêcheurs attirés par l'abondance des ressources poissonneuses, des ouvriers spécialisés à qui on offrait des salaires alléchants, des artisans à la recherche d'une clientèle captive, ou encore des marchands venant soit vendre leur camelote soit s'enrichir dans le commerce pelletier.

On voyait plus rarement arriver des femmes et parfois des enfants. En somme, le Canada était beaucoup moins une colonie de peuplement que le foyer d'une importante immigration militaire et professionnelle, essentiellement masculine et célibataire. De façon générale, ces jeunes arrivants ne venaient nullement coloniser le Canada, mais répondaient aux circonstances appelant des travailleurs et des militaires dans cette colonie vers laquelle ils s'étaient embarqués avec la ferme intention de rentrer chez eux après quelques années avec, autant que possible, du moins espérait-on, un petit pécule.

Quarante-huit pour cent des Français arrivés au Canada avant 1760 finiront ainsi par en repartir après y avoir vécu au moins un an. Assez peu nombreux, les véritables immigrants, c'est-à-dire ceux qui arrivaient au Canada avec déjà la volonté bien arrêtée de s'y installer définitivement, étaient souvent... des immigrantes. Les épouses accompagnant leur mari, les fillettes venues avec leurs parents, les religieuses ainsi que les femmes célibataires venant fonder une famille arrivaient au Canada pour y passer le reste de leur vie. Dès le départ, et contrairement à celle des hommes, l’immigration féminine se voulait définitive[1] .

Les officiers du régiment de Carignan-Salières se voient offrir des seigneuries. Dès l’automne 1667, six capitaines, 10 sous-officiers, lieutenants ou enseignes du régiment Carignan-Salières entreprennent la construction d’une habitation.[2]

Les censitaires de ces seigneuries s’installent, changent de terre avec leur voisin ou carrément changent de seigneurie. Il faut d’abord la permission du seigneur pour se déplacer ou changer de seigneurie. Mais l’application de cette règle seigneuriale n’est pas appliquée de façon très rigoureuse partout. Sans compter que ces anciens soldats ou anciens engagés sont attirés par la traite des fourrures. Ils sont sous la responsabilité de leur seigneur ou accompagné par leur seigneur. Ils partent pour de courts voyages ou hivernent. Peu de censitaires se contenteront de cultiver exclusivement leur terre.

Si les seigneuries sont davantage l’affaire des hommes, certaines femmes ont quand même été seigneuresses. Les seigneuries religieuses comptent quelques femmes à leur tête et des veuves de seigneurs prendront la Relève et deviendront de véritables femmes d’affaires. L’exemple de Marie-Catherine Peuvret en constitue un exemple éloquent[3]

[1] Robert Larin, « Les origines familiales des pionniers du Québec ancien (1621-1865) », dans Marcel Fournier, Les origines familiales des pionniers du Québec ancien (1621-1865), Québec, Fédération québécoise des sociétés de généalogie, Paris, Société française de généalogie, 2005 (2001).

[2] On peut lire davantage sur les seigneuries et les gens qui se sont installés autour de leur seigneur dans les histoires des familles fondatrices que la Société fait paraître. Sont déjà parues, les histoires de Paul-Hus, Letendre, Cardin, Bibeau et Salvail. 7 autres histoires paraîtront au cours de 2017.

[3] Benoît Grenier, Marie Catherine Peuvret, veuve et seigneuresse en Nouvelle-France 1667-1739, Septentrion, 2005.

Un papier terrier ou liste détaillée des possessions et des droits perçus d'un seigneur est produit pour la distribution des terres est produit par le lieutenant général civil et criminel en 1669. En 1672, l’intendant Jean Talon concède plusieurs seigneuries, dont une au capitaine Pierre de Saurel. Plusieurs soldats s’installent près de leur capitaine et reçoivent des terres.

Chaque seigneur doit présenter « Foi et Hommage » au Roi. Une cérémonie a alors lieu.

« La prise de possession [d’une seigneurie] accomplie et dûment authentifiée par acte notarié, le nouveau titulaire doit présenter la foi et hommage au roi [...]. C’est une affirmation de sa fidélité et de son engagement à remplir ses devoirs de seigneur. C’est pourquoi il doit, dans le cas d’un fief*, se rendre au château Saint-Louis (siège du gouverneur général, donc du représentant du roi); et là, devant l’intendant [...], il enlève ses armes, met un « genou en terre » et prononce la formule de la foi et hommage : cérémonie dont le secrétaire de l’intendant lui délivre procès-verbal. »

La foi était due par le roturier pour ce qu'il tenait du seigneur, et l'hommage était dû par le gentilhomme, comme il paraît par un arrêt du parlement de Paris rendu aux enquêtes, le 10 décembre 1238. Le serment de fidélité se prêtait debout après l'hommage, il se faisait entre les mains du bailli ou sénéchal du seigneur, quand le vassal ne pouvait pas venir devers son seigneur ; au lieu que l’hommage n'était dû qu'au seigneur même par ses vassaux[4].

[4] Au Blason des armoiries, Foi et hommage. En ligne: http://www.blason-armoiries.org/institutions/f/foi-et-hommage.htm

Cérémonie de Foi et Hommage

Outre d’être bien géré, le régime seigneurial doit aussi être prévoir l’administration de la justice. Nous avons la justice seigneuriale qui diffère un peu selon que l’on soit dans un milieu rural ou dans les villes, où l’on trouve des tribunaux seigneuriaux, les tribunaux royaux et le Conseil souverain.

[...].Pour ce qui est des cadres des tribunaux seigneuriaux, nous comptons un juge, un procureur fiscal, un greffier et un huissier. À l’origine, les cours seigneuriales ont le droit d’exercer la basse, la moyenne et la haute justice. À cette époque, la basse justice s’applique aux différends impliquant de faibles sommes.

La moyenne justice s’applique principalement aux obligations féodales et à la désignation de tuteurs pour les enfants mineurs. Finalement, la haute justice permet au juge seigneurial de prononcer des condamnations à mort s’il reçoit l’accord d’une cour royale de justice. Comme toutes les structures judiciaires établies au Canada sous le Régime français, le pouvoir des cours seigneuriales évolue considérablement.

Ainsi, à partir de 1693, l’application de la haute justice est retirée à ces tribunaux qui se trouvent limités aux affaires relevant de la basse et de la moyenne justice. En plus de ces fonctions, la justice seigneuriale est responsable de la police, dont le rôle est « d’assurer le respect de l’ordre et de corriger des abus ».





Carte de Gédéon de Catalogne du Cap à l’Aigle au lac Ontario


Nous devons à Gédéon de Catalogne (il signait à la façon béarnaise Catalougne) un officier de marine et un arpenteur, les cartes de trois «gouvernements» (régions administratives) de la Nouvelle-France, soit Québec, Montréal et Trois-Rivières. Il commence ce travail cartographique vers 1708.

Sur cette carte, on trouve la rivière Richelieu et le lac Champlain. Des seigneuries furent concédées autour du lac Champlain dont une à M. de Contrecœur qui fut impliqué dans la fondation du fort Duquesne qui est devenu par la suite Pittsburgh. Cette région faisait partie de la Nouvelle-France et est sujette à des contestations. Un groupe d’émissaires mandatés pour signifier aux Anglais qu’ils étaient dans un territoire qui faisait partie de la Nouvelle-France furent assassinés.

Catalogne a dû recevoir dans sa jeunesse une formation en mathématiques et particulièrement en géométrie, mais, comme il était de religion protestante, il n’avait pas accès aux études menant à une commission d’officier dans le corps de génie.

De toute évidence, il vint au Canada en 1683, sous le nom de guerre de « La Liberté », comme soldat et arpenteur dans les troupes de la marine ; il prit part à la campagne que mena Le Febvre de La Barre contre les Iroquois en 1684, et aux attaques que dirigea le chevalier de Troyes*, en 1686, contre des postes anglais de la baie d’Hudson.

Après sa conversion au catholicisme en 1687, il reçut son brevet d’officier et c’est comme enseigne qu’il participa à plusieurs campagnes contre les Iroquois et les Anglais, sans oublier le siège de Québec par Phips[5].


Cette carte de Jean de Couagne donne les noms des censitaires.

Vers 1685, les riches habitants manquaient de main-d’œuvre. On suggère alors de faire venir des Africains. Le Roy ne s’y oppose pas, mais exprime des craintes que la différence de climat les fasse mourir. On lui riposte qu’on peut les vêtir avec des peaux de castor à moindre prix et que cela en augmentera le prix de vente[6]. (Salone).

 

[5] Dictionnaire biographique du Canada [DBC]. En ligne : http://www.biographi.ca/fr/bio/catalogne_gedeon_2F.html

[6] Emile Salone, La colonisation de la Nouvelle-France, Réédition Boréale, 1970


L’acte de concession que nous voyons ci-dessous a été rédigé sous le régime anglais :

 

 

Vers l’abolition du régime seigneurial

Le Parlement britannique adopte en 1845 une loi qui modifie les accords sur les tenures avec le consentement des seigneurs et de leurs censitaires. En 1854, sous l’influence de Louis Hypolyte La Fontaine et George Étienne Cartier, une loi est approuvée pour convertir les tenures en celui de franc-tenancier. La loi permet au censitaire d’acheter les droits sur sa terre. Cet acte a pour effet de réformer à l’échelle provinciale les divers droits seigneuriaux, tels les lots et les ventes. Ceux-ci sont remplacés par le paiement d’une rente seigneuriale fixe.

La tenure désigne la portion d'une seigneurie occupée et cultivée par un vilain (paysan libre) durant le Moyen Âge. Elle s'oppose à la réserve qui est destinée aux serfs (paysans non libres appartenant au seigneur). C'est une terre concédée par le seigneur au « tenancier » (Wikipédia)

L’abolition du régime et des rentes eut lieu sous le gouvernement de Louis-Alexandre Taschereau sous les pressions de T.D. Bouchard, député de Saint-Hyacinthe. En 1935, l’Assemblée législative du Québec adopte une loi pour faciliter la libération des terres et les lots des rentes qui devaient être payées selon la tradition le jour de la Saint-Martin.

Les tenures en censive deviennent francs-alleux roturiers (Alleu : terre possédée en propriété complète, opposée aux fiefs ou aux censives impliquant une redevance seigneuriale. Il s'agit donc d'une terre ne dépendant d'aucune seigneurie foncière.).

Il faut ensuite attendre 1935 quand le gouvernement de Louis-Alexandre Taschereau crée le Syndicat national du rachat des rentes seigneuriales (SNRRS), afin d’homologuer les livres terriers pour convertir en capital rachetable les rentes constituées des anciens fiefs. Ce sont les municipalités qui collecteront temporairement ces rentes, converties en taxes municipales.

Les propriétaires de biens seigneuriaux percevront pour une dernière fois, le 11 novembre 1940, fois les rentes seigneuriales. Environ 60 000 cultivateurs de 245 seigneuries disposent alors d'un maximum de 41 ans pour racheter le capital des rentes constituées. Les derniers restes des rentes seigneuriales ont ainsi progressivement disparu avant 1981.

Le régime seigneurial fait encore l’objet de débats et ne fait pas l’unanimité parmi les historiens. L’historien Marcel Trudel l’interprète comme un « système social d'assistance mutuelle, établi pour faciliter le peuplement ». D’autres historiens ont étudié le régime seigneurial : Louise Dechêne (1974) a étudié les implications du régime seigneurial pour les habitants des villes et des campagnes à partir du XVIIe siècle, Greer (1985), Dépatie, Lalancette et Dessureault (1987) évaluent de façon beaucoup plus négative ce système, jugeant « qu'il s'assignait plutôt d'une source d'inégalité sociale. Ils soulignent aussi « le pouvoir des seigneurs de s'approprier les surplus agricoles ».

Les rapports inégalitaires et hiérarchisés caractéristiques des sociétés européennes se sont-ils transformés sur les rives du fleuve Saint-Laurent ?

Telle est la question qui a retenu l'attention d'une pléiade d'historiens depuis le XIXe siècle. Le régime seigneurial québécois s'est-il adapté, assoupli, dans ce terroir « neuf » ?

A-t-il, au contraire, été appliqué avec rigueur ?

A-t-il réellement constitué un outil de peuplement et, par conséquent, un facteur favorable à l'évolution de la colonie ?

A-t-il plutôt été un élément nuisible et un fardeau pour les habitants de la Nouvelle-France puis du Bas-Canada ? [...]

Différente ou semblable du modèle français? Souple ou contraignante ? Utile ou parasitaire ?[7]

Il n’en reste pas moins que le régime seigneurial a persisté jusqu’aux années 30 dans la région. C’est ma grand-mère qui pourrait vous le confirmer!

[7] Benoît Grenier, Brève histoire du régime seigneurial, Montréal, Boréal, 2012, 246 p.
 

 

Roland Plante
Avec la collaboration de Madeleine Blanche Lussier.
Tableaux : Robert Lachance, prés. Société de Généalogie Les Patriotes.

 

 

 

Source : Roland Plante, Courriel Saurelois

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