Papas-mamans, lâchez-leur donc un peu les baskets!
(Voir « Escapade en "Verchères" »)
21 juillet 2002 

(…) Après bien des manœuvres plus ou moins habiles visant à mettre un peu de distance entre ma «Verchères» et ce fichu quai, je me retrouve enfin pointe vers le large, c'est-à-dire du côté du «creux», dans la position classique du rameur qui donne à celui-ci l'étrange impression, au demeurant agréable, de s'éloigner de plutôt que d'aller vers. Me voilà seul maître à bord après… personne. Wow! le bonheur «tôtal»! Quel programme, mes amis : une aventure à vivre hors supervision maternelle, un univers à redécouvrir par moi-même, une liberté toute neuve à expérimenter, à goûter de tous mes sens! « Allons d'abord du côté des "battures"! » que je me commande à moi-même in petto.

C'est ainsi que, peu après, je m'engage, que dis-je? je m'enfonce dans un véritable «mur végétal»; sitôt que m'a franchement avalé cette forêt dense mais basse dont la surveillance aérienne est assurée par un escadron d'impressionnantes libellules d'un bleu métallique étincelant, des effluves capiteux me saisissent au nez : ce sont les joncs qui «odorent» de la sorte, longues tiges souples qui, caressant les flancs et le fond de ma chaloupe au passage de celle-ci, produisent un froissement feutré qui m'enferme dans une sorte de bulle sonore… Je suis coupé du reste du monde, j'ai franchi la barrière du temps, lequel a suspendu son vol l'espace d'un bonheur d'enfant au parfum d'insouciance… Ah! çà, oui! En cet instant précis, je suis profondément, totalement heureux! (…)

Si vous avez le privilège, le bonheur insigne d’être parent et que, à la lecture du flash-back estival ci-dessus, vous vous soyez demandé : « Était-ce bien prudent, cette équipée sur l'eau en solitaire, et qui pis est, sans gilet de sauvetage d’un modèle recommandé, dûment approuvé, certifié conforme aux normes, etc.? » (Note de l’auteur : cette pièce d’équipement était virtuellement inconnue à l’époque de mes culottes courtes.)  « Et que faisait donc la mère de cet enfant? » (Re-note de l’auteur, destinée celle-là à vous rassurer tout de suite : maman, qui avait bien des chats à fouetter, ne jouissait point – fort heureusement pour moi – du don d’ubiquité, et elle n’avait jamais les pouces étourdis… d’avoir été trop tournés!) Si donc, comme parent, vous vous êtes indigné d'emblée, sachez que c’est à vous précisément que s’adressent les quelques lignes qui suivent.

Eh bien, par de telles questions, vous démontrez ne pas avoir accroché aux «bonnes affaires»! Normalement, vous auriez dû saisir qu'il ne s'agissait point là de ma part d'une sadique incitation à envoyer votre progéniture «s'épivarder» sur le boulevard Décarie, à Montréal, à l'heure de pointe, afin de se familiariser avec le danger – tout de même! –, mais plutôt d'un sain encouragement à ne pas TROP organiser les activités de vos chéris, à ne pas étouffer leur curiosité naturelle à force d'encadrement serré. In medio stat virtus (traduction on ne peut plus libre : le chemin à suivre louvoie entre les extrêmes). Il faut les laisser se faire des bleus et des ampoules en explorant le royaume qu'ils se seront eux-mêmes inventé; vous pouvez m'en croire : plus de quarante ans plus tard, ils s'en souviendront encore, un sourire à l'âme.

Chers géniteurs surprotecteurs sur les bords, c'est le p'tit garçon qui subsistera toujours à l'intérieur de cette mienne carcasse de bientôt 54 septembres qui vous écrit… au nom de vos enfants qui, eux, n'ont que dix ans… pour de vrai! Qui vous écrit, disais-je, pour vous conjurer de laisser un peu de «jeu» dans leur corde. Ainsi, toutes les promenades à vélo n'ont pas à être faites avec papa-maman dans des sentiers ultrabattus, tous les matches de hockey ou de soccer ne doivent pas forcément se livrer sous la férule d'un «coach» adulte. Il faut parfois savoir s'écarter de leur soleil, à ces jeunes pousses, question de leur permettre d'apprécier la lumière et, surtout, de croître un bon coup!

La solitude est une grande amie qu'il convient d'apprendre à apprivoiser jeune et… seul, sous peine de vieillir triste, ou désemparé.

Jean-Paul Lanouette, en attente de son 54e été…