Le faux «joggeur» de Saint-Armand, P.Q. Voici un texte qui, cela vous sautera aux yeux d'emblée, n'est hélas (?) point marqué au coin de la rectitude politique; il s'agit d'une lettre ouverte à Pierre Foglia, chroniqueur-vedette à La Presse et… soi-disant «joggeur». C'est en toute modestie que je me permets de dédier les paragraphes qui suivent à MM. Jean Desrochers et Albany Girard, deux grands coureurs devant l'Éternel, deux «vétérans» de la région de Sorel-Tracy que j'ai malheureusement perdus de vue, ayant en effet cessé toute forme de compétition de course à pied il y a une quinzaine d'années.

«Jogging» est à courir ce que «balade à bicyclette» est à faire du vélo

Lettre ouverte à Pierre Foglia, grand «joggeur» devant l'É…phémère  OU Comment faire suer son chroniqueur favori?

Monsieur, 

Je vous écris d'abord et surtout pour applaudir à votre tardive et néanmoins salutaire conversion à la course à pied1, mais aussi pour vous supplier, quand vous nous entretenez de vos bucoliques sorties en running shoes, d'éviter comme la peste le mot cucul de «jogging», lequel est à la course ce que la bicyclette est au vélo. Il faut préciser que «jogging» est un terme qu'exècrent à s'en confesser publiquement tous les adeptes et amants véritables – pratiquants ou non – du mode de locomotion primaire et désormais primal qu'est la course à pied (bien que cette manifestation physique – la course, toujours – se puisse définir sommairement comme une extension naturelle «liftée» de la marche à pied, on se gardera de la réduire à une forme plus véloce, disons accélérée, de ladite marche). Que je sache, les «enfourcheurs de p'tite reine à boyaux», ces irréductibles fanas d'la bécane, les vrais, quoi!… comme vous… eh bien! ils ne se mettent pas à faire de la bicyclette dès que leur moyenne glisse sous la barre des 30 km/h : même arrêtés, c'est du vélo qu'ils font, eux autres, et pas aut'chose! Or, comme disaient les Cyniques, c'est «synagogue» pour la course à pied! Si point n'est besoin d'être un Fausto Coppi pour avoir le droit de faire du vélo (ou d'aller «pédaler» tout court), pourquoi diable faudrait-il posséder la foulée légendaire de Jules Ladoumègue2 pour mériter de faire de la course à pied? Respect is a two-way street where people are supposed to meet halfway! Capice?!


Jules-le-Coureur

Fausto à vélo

Je me remémore avec délectation une impayable description par vous commise, quelque part à la fin des années soixante-dix; l'objet de votre sarcasme assassin : le marathonien (du dimanche ou de carrière? je ne sais plus trop). Pissant que c'était, criant de vérité même quant à l'aspect extérieur de la «bibitte» courante. Ouais! le portrait était fidèle, mais ô combien incomplet! Qui eût cru, à l'époque, que vous en seriez un, de coureur, un jour? Car ne vous leurrez point, la façon dont vous parlez de vos sorties de «jogging» démontre que vous êtes déjà accro, mon ami, et pour longtemps (c'est en tout cas la grâce que je vous souhaite). Après tout, y'a pas qu'la pédale dans'vie!

J'adore «natater», j'aimais bien «vélocipéder» et «tennistiquer», mais – pour emprunter au jargon du vélo – mon rapport à la course à pied, c'est aut'chose , en mieux, c'est hors braquet comme ne dirait pas l'autre, ça se situe à un autre niveau, ça prend une dimension particulière dans ma p'tite vie sans envergure (n'allez surtout pas vous lancer dans une savante et décapante interprétation «foglienne» : j'le dis comme c'est, c't-y clair?!). La beauté de la course à pied réside dans tout ce qu'elle charrie d'indéfinissable. La course, c'est la victoire constante et modeste – répétée à chaque foulée –, la victoire de l'esprit, de la raison, de l'homme (et de sa «financée») sur la «viande», c'est-à-dire ce qui nous tient lieu de beau grand corps… Ayoye don! Foin de tous ces complexes qui nous collent à la carcasse! Si ça bouge, c'est pas péché, c'est rien'q beau.

La course, c'est l'expression de soi dans sa forme la plus réduite, donc la plus vraie : rien n'est plus simple ni plus difficile à la fois, et c'est cela sans doute qui confère son petit côté transcendant à la course. Emmener ses difficultés, ses tracas, ses «défis3» courir et s'éventer avec soi, c'est les contraindre au «dessoufflement», à tout le moins à l'aplanissement, traitement miracle que vous avez peut-être déjà expérimenté mieux que «bibi», ou plus à fond… grâce à votre grand âge! La course, enfin, ça vous entraîne ou vous plonge (c'est selon l'intensité) dans une espèce de twilight zone où la félicité côtoie l'abrutissement, le coureur évoluant sur le mince fil qui sépare ces deux états diamétralement opposés.

Parlons maintenant «jogging» si vous le voulez bien, ou plutôt que vous le vouliez ou non. Le «jogging» (ça sonne comme bilboquet, trouvez pas??? et c'est peut-être pour ça que le mot me fait carrément ch…), le «jogging», disais-je donc, appartient en propre aux joyeux m'as-tu-vu dont le principal souci est, vous l'aurez deviné, de se montrer à leurs voisins en faisant prendre l'air à leurs shorts autour du «bloc». Le «joggeur» se reconnaît à son look irréprochable4 (pompes et chaussettes immaculées, suit coordonné) et à la quasi-absence de sueur (transpirer, quelle horreur!) sur son front inutilement ceint d'un bandeau serre-tête «matchant» avec le reste de son gréement coursique. Je défendrai – pas jusqu'à la mort, mais assez vigoureusement tout de même – le droit qu'ont ces panneaux publicitaires ambulants que sont les «joggeurs» (comme bien des cyclistes, tiens donc!) de s'afficher de la sorte : en se livrant à leur petit trot à heure de grande visibilité5, ils ne font de mal à personne. Mais, il faut le préciser, leur activité n'a rien à voir avec la course à pied, ou si peu!

(À part paragraphe ajouté en 2002 : En passant, faut pas vous plaindre de votre lenteur comme «joggeur». Normal quand on avale les kilomètres un Walkman vissé sur la tête. De quoi j'me mêle? Vous en parlez : je vous réponds, that's all! Courir, pour moi en tout cas, c'est vouloir se connecter «de tous ses sens» à son environnement, se retrouver en communion, en symbiose presque, avec celui-ci. «Jogger» / courir avec casque d'écoute, c'est comme écrire sur les brakes : une hérésie excusable chez les seuls débutants.)

L'acte élémentaire de courir recèle un aspect SURVIE qui nous ramène à la case départ, celle-là même où l'homme de Cro-Magnon, dit «au gros moignon», avait tout intérêt à posséder ou à acquérir au plus sacrant une foulée sinon belle, du moins efficace. Le surviveur devait être doué à la fois pour le sprint et pour le fond… Une sorte de Ben Bikila, croisement réussi de Ben Johnson et d'Abebe Bikila, non stéroïdé ni «stanozololé», celui-là…

La course est instrument de motivation, de défoulement, de plaisir, de masochisme (car il n'y a rien de plus humain que de courir), de rencontre avec soi-même, tout nu, avec ses problèmes, ses peines, ses joies, ses peurs, ses limites, ses folies, ses illusions, ses trous de mémoire, ses phantasmes même…

Tandis que le «joggeur» s'exécute essentiellement pour la galerie, le coureur, lui, court pour courir, point à la ligne : le reste vient tout seul, à s'en bousculer dans votre corps en mouvement et dans votre tête en ébullition.

Avant que de «pointfinaler», je tiens à vous signaler en aparté que, contrairement à ce que bien des gens (coureurs y compris) croient, il n'y a pas de vitesse magique à atteindre qui permette au vulgaire «joggeur» d'accéder au pinacle, c'est-à-dire à une sacro-sainte confrérie des vrais coureurs (le kilomètre avalé en moins de quatre minutes, par exemple). Faut savoir qu'il y a des «joggeurs» rapides et des coureurs lents. Tout est d'affaire d'autoperception, d'introspection et de motivation, surtout pas de vitesse de déplacement. Or, dans mon esprit, vous êtes un coureur, un vrai, et un pur6 à part ça, ne vous en déplaise! Y'a des symptômes qui ne trompent pas. Pour paraphraser une annonce de truck (Nissan) made in France7, je dirai en terminant que le «jogging», c'est un look, alors que la course à pied, c'est un feeling… qui ne laisse pas de vous envahir au détour de l'effort.

Les mots ont un caractère sacré qu'il faut savoir respecter : un matou restera toujours un chat, mais jamais le «jogging» ne sera assimilable à la course à pied. C'est comme comparer chien et loup; dans ce dernier cas, les apparences sont fort trompeuses, et toute confusion risquerait d'être plutôt fâcheuse pour l'«errant»… C.Q.F.D. (Comme Quoi Foglia Déparle?).

Vous sachant l'esprit un brin tordu (c'est une sorte de compliment… comprenne qui peut), je crois que la mise au point ci-après s'impose. Voilà : pour que vous ne soyez pas tenté de m'intégrer à la catégorie des coureurs frustrés parce que désespérément «tortuesques», je précise tout de suite que j'ai un personal best de 2 h 54 et des «grenailles» au marathon, et de 36 min 55 s au 10 km (cette dernière performance – qui fut aussi une de mes dernières courses – réalisée à 40 ans, avec ou malgré un «pondéral» de 84 kg réparti sur 1 m 80). J'aurai bientôt dans le corps 49 hivers (en 1997), tous subis au nord du 45e parallèle; à cause d'une très héréditaire rétinite pigmentaire, «chirie» maudite qui a pour intéressante particularité de transformer tous les paysages en bouts de tunnels, et aussi parce que j'estime n'avoir plus rien à me prouver sur le plan strictement athlétique, je ne «compétitionne» plus contre moi-même dans des courses «organisées»; c'est vrai, j'ai un peu ralenti, mais de ça on ne se rend pas compte quand le fameux feeling est là...

Dans un tout autre désordre d'idées, je désire souligner que le seul être que j'aie vraiment admiré dans ma vie, sans la moindre restriction, n'est pas poète ni philosophe, non, seulement un homme… ordinaire, et tout un, veuillez m'en croire : Emil Zatopek, la «locomotive tchécoslovaque», par qui j'ai trouvé le courage8, à 17 ans, de courir dans les rues en restant sourd aux «crisse de fou!» et aux «hostie de malade!» dont on m'abreuvait invariablement – quand on ne me fonçait pas carrément dessus en «char» pour que j'm'ôte de dans'rue. M. Zatopek qui fit don de l'une de ses médailles d'or au merveilleux coureur Ron Clarke, olympien malheureux qui était pourtant le meilleur de son époque; M. Zatopek qui a survécu aux vacheries politiques; M. Zatopek qui, j'en suis sûr, court encore… Même s'il en était réduit à pousser une «marchette9» devant lui, il ne «joggerait» pas, celui-là10! Excusez-la!

J'en ai déjà trop dit, alors… Bonnes courses!

            Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les plus… fugaces, donc les moins récupérables…

                                                                        Jean-Paul Lanouette
                                                                                  jplanouette@sympatico.ca

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1.      Vous y êtes venu dans le seul souci de garder la forme pour le vélo, vous y restez fidèle (!?) pour un tas d'autres raisons, pas vrai?

2.      Vous trouvez que mes références «ont d'la barbe»? Désolé… J'essaie toujours d'adapter mon propos à l'entendement présumé du destinataire, en tenant compte bien sûr de son âge, ainsi que de son univers culturel, social et sportif. Mais, magnanime, je veux bien vous concéder que, une fois enclenchée la marche arrière, il est facile de remonter un peu trop loin dans le temps… Va pour Coppi, mais Ladoumègue? J'avoue avoir «poussé le bouchon» en dehors de votre time zone. Ma seule excuse, et elle est valable : la foulée aérienne de l'ami Jules reste la plus belle de toutes, témoin la photo que j'annexe à la présente (avec celle de Coppi).

3.      Eh oui! pour désigner de façon politically correct un problème, un irritant quelconque ou une situation tant soit peu difficile, c'est du vocable défi qu'il convient désormais d'user, messieurs-dames! Évidemment, quand on est pas foutu de relever de vrais défis dignes de cette appellation, rien de plus normal que de s'en inventer dans son p'tit quotidien, mais à résoudre, ceux-là, ou, à tout le moins, à tenter de résoudre, c'est-à-dire à… «gérer», ce qui en quelque sorte n'engage à rien et se révèle en tout cas moins contraignant sur le plan des résultats à obtenir!

4.      Vous venez de «déjanter» là, hein? En effet, mon p'tit doigt me dit que ça ne «fitte» pas pantoute avec votre «image». Votre dégaine ne s'apparente-t-elle pas plutôt, en effet, au genre «chienne à Jacques»? Pour courir, ça va, mais pour «jogger», most shocking, my dear!

5.      Je n'ai pas écrit risibilité, notez-le.

6.      C'est pas d'la flagornerie («tétage»), et c'est gratuit, alors dégustez Auguste (à vouloir être poli, on perd la rime : nous n'avons las point gardé les cochons de conserve)!

7.      On aura bien sûr compris que c'est la pub qui était de conception française, et non point le camion, japonais jusqu'à l'os, lui!

8.      Bien petit courage en vérité, il faut le dire, et non «marketable», on ne peut que s'en réjouir, mais surtout envie irrépressible (mêlée d'une tonne de curiosité) de goûter à une joie sans prix, celle de l'effort.

9.      Un déambulateur que cela est censé s'appeler! Vive donc la «marchette», les plus véloces «arpenteurs de couloirs» ayant même droit, les veinards, à la «joggette» en dural! À vot' place, je passerais ma commande tout de suite…

10. Hélas! la «locomotive» a cessé de souffler en novembre 2000! On imagine sans peine son entrée triomphale en gare de l’Olympe, terminus obligé pour les rares vrais Grands… au front ceint de laurier…

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NOTE : Peu après l'envoi de cette mienne missive où je l'invitais à rayer le mot «jogging» de son vocabulaire, M. Foglia pondait une chronique s'intitulant, comme par hasard : « JOGGING »… Sans «paranoïer», je me suis dit qu'il venait là de me répondre à sa façon : « Tiens Ducon, cours toujours! » J'avais, j'en conviens, transgressé étourdiment la règle cardinale qui commande aux fidèles de ne jamais – au grand jamais! – signifier au Maître quoi dire ou ne pas dire; ç'aura été, en définitive, mon seul ou plus grand tort dans ce dossier. Quoi qu'il en soit, après avoir battu ma coulpe, j'ai ri un bon coup, et en groupie putassier que j'étais, j'ai docilement baissé les bras, poussant le «béni-oui-ouissage» (ou «béni-oui-ouinisme», sorte d'onanisme béni?!?) jusqu'à donner raison au prétendu «joggeur», disposé à me coiffer moi-même du bonnet de «fasciste de la langue» (ce que pourtant je ne suis pas; en effet, tenir à ce qu'on désigne gens et choses par leur nom, c'est pas être «facho» une saprée miette!). Ainsi donc, le «téteux» pliait l'échine devant le têtu. Ô combien je le regrette! Car il faut savoir se tenir debout, même et surtout devant ses «idoles». Cette obséquiosité dont je fis preuve continue de me turlupiner encore aujourd'hui. C'est mon problème, pas celui du sieur Foglia ni le vôtre, ça, je le sais, mais je me suis dit, comme ça, que ça me ferait peut-être du bien d'en parler «ouvertement»… D'où la décision d'«ouvrir», après cinq ans, la lettre destinée exclusivement, à l'origine, à mon «trottineur» préféré! Mieux vaut tard…