LE SORELTRACY MAGAZINE     *  Dernière mise à jour : vendredi 12 juin 2015 12:09

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NÉCROLOGIE

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Robert
Barberis-Gervais

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L'opinion exprimée dans le cadre de cette chronique, est celle de son auteur
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vendredi 12 juin 2015

Le film « Monsieur » de Francine Pelletier
par Robert Barberis-Gervais

Comme essayiste, Francine Pelletier s’est discréditée en écrivant dans « Le Devoir » que l’élection de PKP à la tête du Parti québécois fut « le triomphe de la non-pensée ». C’était prétentieux et arrogant et ça prouvait que les catégories gauche-droite sont inopérantes surtout quand elle sont utilisées de façon démagogique et univoque pour vilipender un homme politique qui a beaucoup d’avenir devant lui. Et qui incarne un véritable espoir pour les vrais indépendantistes. (Voir mon article : « Francine Pelletier et le bling bling d’Outremont ma chère », Tribune libre, Vigile, 24 mai 2015)

« Sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur » a écrit Beaumarchais. Après le blâme, voici les éloges. Par son film « Monsieur » que j’ai vu cinq fois à la télévision récemment, Francine Pelletier a démontré qu’elle est une artiste. Parizeau assis dans un fauteuil dans la pénombre la tête haute pour montrer la solitude du pouvoir, c’est bien. Des airs d’opéra soulignant les moments les plus difficiles, ça ne laisse pas indifférent. Mais le moment le plus émouvant pour moi fut d’entendre en arrière-fond du lendemain de la fameuse déclaration du 30 octobre, un extrait furtif de la chanson de Raymond Lévesque, « Quand les hommes vivront d’amour » : « Où il fallait que nous passions ». Ici, le film atteint le sublime avec une suggestion de la fatalité qui est exprimée dans la chanson que nous savons par coeur.

« Dans la grand’ chaîne de la vie
Où il fallait que nous passions
Où il fallait que nous soyons
Nous aurons eu la mauvaise partie. (…)

Dans la grand’ chaîne de la vie
Pour qu’il y ait un meilleur temps
Il faut toujours quelques perdants
De la sagesse ici-bas c’est le prix.

Quand les hommes vivront d’amour
Il n’y aura plus de misère
Et commenceront les beaux jours
Mais nous,
Nous serons morts mon frère. » (Raymond Lévesque)

Pur obtenir les confidences de Jacques Parizeau, il a fallu que Francine Pelletier établisse une excellente relation avec lui. Et cela paraît par exemple quand il lui reproche amicalement avec le sourire d’être bien indiscrète quand elle lui demande d’exprimer des regrets.

Je ne vais pas tenter de résumer tout ce que ce documentaire nous apprend sur la personnalité de Jacques Parizeau. Je note le petit air de condescendance qui accompagne le dialogue entre les deux femmes Francine Pelletier et Louise Beaudoin quand elles soulignent combien Jacques Parizeau aimait Lisette Lapointe. Je vais revenir sur deux points.

Parizeau insiste pour souligner combien il a été insulté dans sa vie et par qui : « par les fédéralistes et par les souverainistes mous. » « Cela fait beaucoup de monde » dit-il. Il raconte qu’il fut hué quand lui et son épouse ont voulu aller manger un steak chez Moishe. Il se scandalise que Pierre Elliot Trudeau passe pour un grand démocrate alors qu’il a fait emprisonner 500 personnes pendant la crise d’octobre 1970 sans porter aucune accusation. Tandis que lui, on l’accuse d’être fasciste et raciste. On a fait un sondage pour lui demander de se taire. Quant aux insultes, il est revenu là-dessus dans son entrevue avec Michel Lacombe. On se souvient des caricatures de Serge Chapleau dans « La Presse » et à « Dieu créa Laflaque » où Parizeau est présenté comme un ivrogne. J’imagine que devant les hommages unanimes exprimés devant les réalisations gigantesques du haut fonctionnaire et de l’homme politique, le caricaturiste prend la mesure de sa petitesse, de sa médiocrité et de sa mesquinerie. Qualificatifs qui conviennent parfaitement bien à ceux qui ont insulté Jacques Parizeau au cours de sa carrière et qui ne lui vont pas à la cheville.

Le film ne nous explique pas pourquoi la mémoire de l’homme politique est si négative. Pourquoi cet homme si respecté et si admiré par les indépendantistes et les progressistes du Québec pendant des décennies choisit-il de ne pas s’en souvenir ? Est-ce un mécanisme inconscient d’auto justification pour expliquer sa démission le lendemain du référendum ? Il semble nous dire : « Comprenez-vous pourquoi j’étais à bout et que je n’étais plus capable de continuer le combat ? » Quand on lit le tome 3 de la magistrale biographie de Pierre Duchesne, on comprend la tâche gigantesque que ce fut d'organiser le référendum avec un Lucien Bouchard plus populaire que lui qui mettait constamment l'accent sur le partenariat.

Mon deuxième point est son insistance pour dire : « J’ai échoué ! » « C’est mon échec. » Jean Royer et Jean-François Lisée l’ont répété : le soir du référendum, il a fait des résultats une histoire personnelle. On ne m’a pas assez aimé pour voter OUI à la majorité entendez que les francophones n’ont voté qu’à 60% au lieu de 63-64%. Et les francophones incluent tous ceux qui ont voté OUI parmi les communautés culturelles. Et c’est de ma faute semble-t-il nous dire. On m’a tellement insulté que des Québécois n’ont pas été capables de m’aimer assez pour voter OUI. Des Québécois hésitaient et c’est pour ça que j’ai mis Lucien Bouchard en avant. C’est à cause de ça que Parizeau en a voulu à Lucien Bouchard nous dit Louise Beaudoin. (Prière de lire le tome 3 de la biographie de Pierre Duchesne pour porter un jugement sur les propos prudents et rassurants de Lucien Bouchard appelé à commenter la mort de Jacques Parizeau.)

Pour justifier sa démission, Parizeau parle des insultes qu’il a subies et prend toute la défaite sur son dos. Il cite l’adage suivant : « La victoire a de nombreux pères mais la défaite est orpheline. » Cette façon de vivre l’événement explique pourquoi l’homme politique qui savait que le camp du NON avait triché n’a pas été capable de continuer le combat et de contester les résultats du référendum. Car le plafond des dépenses à 5 millions de la loi québécoise des référendums n’a pas été respecté par le camp du NON. C’est ça « l’argent » comme cause de la défaite. Est-ce que cette loi-là existait juste pour le fun ? Le « love-in », c’est combien ? Et « Option Canada », organisme secret qui a dépensé presque le million, est-ce que c’est anodin ? Et dire que les leaders du OUI ont refusé l’idée de Claude Dubois de remplir le stade olympique de peur de dépasser les dépenses permises.

Au lieu de préparer la réplique, Parizeau a donné une entrevue à Stephan Bureau annonçant sa démission en cas de défaite. Je trouve que ce retour sur soi est compréhensible mais quand même pathétique. Cela n’enlève pas à Jacques Parizeau l’importance de son oeuvre pour donner au Québec les outils de son développement économique. Il a été un véritable homme d’Etat. Il a été un humaniste. Mais ce n’est pas vrai que Jacques Parizeau a échoué le 30 octobre 1995. C’est tout le mouvement indépendantiste qui a échoué. C’est important le chef, on l’a vu avec Jack Layton. Malgré ce fait, au lieu de dire « Moi, j’ai échoué », Parizeau aurait dû dire : « Nous avons échoué ». Et continuer le combat. Il n’en pas eu la force. Je le dis en tout respect. On ne m'accusera pas, j'espère, de jouer au gérant d'estrade si j'affirme qu'il aurait dû ne pas démissionner. Il aurait alors montré qu'il est un véritable chef d'Etat. Et l'histoire du Québec aurait été toute autre. Après 50 ans de militantisme en faveur de l'indépendance, j'ai le droit de le dire.

Voilà ce à quoi donne à penser malgré lui le film de Francine Pelletier qui verse dans la mélancolie : une fédéraliste qui se penche sur un homme blessé qui a échoué, est-ce que c’est touchant ? Les fédéralistes aiment bien les indépendantistes quand ils sont perdants. Une fédéraliste qui ne veut surtout pas le succès de l’héritier PKP qui se prépare à réussir. Et qu’elle commence déjà à insulter en le classant définitivement à droite, dans le camp du Mal. Et en soutenant que mon vote pour PKP comme chef du PQ et celui de 57% des militants péquistes est "le triomphe de la non-pensée". Suivant les traces de Jean-Marc Fournier, le démagogue libéral par excellence qui fait partie des pharisiens qui prétendent défendre la liberté de la presse. Il faut croire qu’elle n'a rien appris de ses entretiens avec Jacques Parizeau. Ces fédéralistes qui rendent hommage à l’intelligence et au sens de la vision de Jacques Parizeau, ne se rendent-ils pas compte qu’ils sont en porte-à-faux. Car cet homme si brillant qui a tant fait pour le Québec, pourquoi tout à coup manquerait-il d’intelligence et de vision quand il dit que le Québec doit devenir un pays pour s’épanouir pleinement ?

Robert Barberis-Gervais,
Vieux-Longueuil,
vendredi 12 juin 2015
barberis@videotron.ca

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