Brise du Survenant

C’est si bon, ce moment
Assis sur une roche près du fleuve
Un doux secret me brise l’oreille, comme le vent
L’humanité ne t’abandonnera pas malgré ton inquiétude

Dans ce silence enfanté par les vagues du Saint-Laurent
Qui frappent les berges enrochées,
je peux enfin revoir cette brise
Fraîche comme la glace qui suit cette courbe sur mon dos

On pourra me dire que j’ai échoué, que l’heure n’a jamais sonné
Que l’hiver sera toujours trop long pour moi
Que l’argent ne coule pas à flot
Je ne manquerai jamais de mots
Assis sur cette pierre les yeux en émoi
Rien n’enfreint mes phrases, mes idées

C’est le bruit du port qui me rappelle ce coin de pays,
en amont de mon âme sur un air ébahi
Les souvenirs sur la rue Nolin,
les idées noires et les jours incertains

Dans mon habit de tous les jours
Mon fleuve demeure le même
Bercé par une brise des îles
Au grand jour perdu en exil
Mon fleuve demeure le même

La brise souffle toujours sur ma tuque
Sait-elle à quel point je l’aime?
Que toute mon existence découle de ce pays, celui du Survenant
Afin qu’elle n’oublie jamais la force de ce sentiment
M’habitant, me laissant pensif et dépourvu
Cet état d’âme, sans lieu précis, ni objectif concis

Simplement que toute cette merde finira un jour
Et qu’elle aura été près de moi tout ce temps, une éternité
Donnant à chacun de mes vers un sens déterminé
Faisant de mes mots un amalgame enchanté
Quelle brise ma Jane se dévoile à moi cette nuit!
C’est tellement violent dans mon cœur, cette incertitude

Tu es le phare près de l’île aux Raisins
En pleine tempête, à l’aube de mon éternel questionnement
Jamais une femme ne peut convaincre la rage d’un homme autant que toi
Aucune
Ni ici ou ailleurs
C’est si abrupt l’inspiration
Comparable à cette berge en automne
Lorsque le vent siffle autant que la froideur de l’hiver qui s’annonce
Échoué sur ces roches, la brise au vent, le cœur au rancart

Le paquebot passe devant moi, je le salue
Il vogue vers Montréal n’arrêtant pas devant mes yeux
Comme si ces trois matelots me regardant me disaient
Qu’ils comprennent bien pourquoi la même brise nous habite
Mais que la mienne me frappe au même endroit
Alors qu’eux, bien ancré sur leur bateau
Ne la voit que passer, manquant l’absolu silence de cette nuit
Les bruits de l’hélice, du moteur et des machines
Portant vers le port

Je retourne ensuite dans les rues industrialisées de Sorel Sud
Sur la route des hommes poussiéreux et démantelés par le temps
Les cheminées portent les mêmes substances vers le ciel
Ma vue reste fixée sur cette rue
Une vision trouble de Charlotte, embrumée
Je suis vraiment né ici, j’y vivrai
Entendrez les fours de mon existence, subirais l’attente
D’une retraite méritée, d’une histoire oubliée
Avec le gros kit, la maison, le chien
L’histoire oubliée des boîtes à lunch marchant sur le pont

Je l’aperçois justement, ce pont, le vieux dit-on
Je m’engage, ma vision se trouble à nouveau
Bien que le temps soit moderne, l’aigreur m’emporte
Je revois le passé que je n’ai pas vécu
Les richesses disparues, envolées avec la révolution
Pas si tranquille lorsqu’on y pense, dans cette rue vaste
Trop d’espace, trop peu de monde et manque de sourire d’enfants
Elle est bien triste ma rue ce soir, tout comme la ville
Le pays charmant, celui du Survenant, semble au bord de l’abîme

À moins que ce soit moi et mon cœur
Préoccupé par un souvenir inexistant
Passé d’une époque révolue et terminée
À l’ère des sans-histoires un peu désespérées

C’est terminé ce soir, sur le pont Turcotte
Les cheminées ne font plus de bruits, les trains s’immobilisent
Les paquebots semblent couler, Titanica
Je revois encore les gens sautés
Se dire quelle belle vie ils ont vécue
À bord de Sorelica
Cette grande idée que ma ville est splendide et grande
Tout comme mes rêves non échoués
La réalité nous rattrape, c’est comme la télé
En voyant cette image derrière le décor
On voit bien que tout passe sans remplacement
Le succès repart, avec le moment de gloire
Comme la femme de nos fantasmes qui a vu plus beau ailleurs

Ce Survenant dont on parle tant
Nous a quitté il y a bien longtemps
Semblable à lui, à son état
La brise passante souhaite quitter
Le froid du port, le charme du pont
Me retournant dos aux silos enfumés
Je reviens m’asseoir sur mon rocher

Si passer le vieux pont est trop souffrant
Je vais regarder ces paquebots avec attention
Si un d’entre eux arrête, je saute à l’eau
Et je repars pour la métropole
C’est la brise m’emportant
Sur les traces du Survenant
 


      le.passant@hotmail.com

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