« Dehors, les dinosaures! » (bis)

– Version pour vieux adultes non consentants

AVERTISSEMENT : Ce qui suit se veut une adaptation full libre d'un fait par trop souvent vécu… Toute ressemblance avec la situation actuelle de l’auteur, de plusieurs de ses collègues, ainsi que de milliers d’autres travailleurs « menacés de remerciement »  parce que en mal de dirigeants vraiment « lucides », toute ressemblance, donc, ne devrait cependant pas étonner le lecteur outre mesure. 

Quand, pour quelque motif occulte, disons plus simplement pour une raison nébuleuse – ou, au contraire, trop évidente et… inavouable –, oui, quand un organisme « conduit » par des cadres soi-pensant dynamiques, mais hélas fort mal éclairés, décide de négocier sur les chapeaux de roue le fameux virage jeunesse, réputé très serré, c'est l'éjection assurée pour les « vieux » passagers arrière, même ceux qui se croient le plus solidement arrimés sur leur siège! Et ils n'auront rien vu venir, les pauvres! Ça, je suis bien placé pour le savoir : le croiriez-vous, pareil « accident » vient de se produire… tout près de chez moi!

Jeune vieux (ou vieux jeune?) « jonglant » à son futur… antérieur

Le plus ironique de l'affaire, c'est que, dans ce genre de manœuvre casse-cou, effectuée à vitesse grand V, le « chauffard », lui, s'en tire généralement sans la moindre égratignure, ayant même droit, en prime, aux félicitations d'usage de la part des très hautes instances (genre conseil d'administration, par exemple) qui ont commandé ou cautionné ce « nettoyage de banquette arrière », opération aux forts relents d'âgisme! En passant – et en guise d'explication possible –, les très hautes instances en question le sont à ce point, « hautes », qu'elles s'en trouvent souvent tout à fait déconnectées de la p'tite réalité terre-à-terre des « salariés ordinaires ». 

Si, aux fins de rapport annuel, ces messieurs-dames membres d'un C. A. digne de ce nom s’y entendent à merveille pour donner un air présentable à une année financière tout ce qu’il y a de plus décevant, comment, par ailleurs, ne pas les imaginer parfaitement démunis face à l’idée saugrenue d’avoir à jongler avec des fins de mois difficiles? Il est vrai que, de toute façon, c’est là un « sport de prolétaires » qui ne leur sourit ni ne leur sied guère, quelque chose d’éminemment théorique ou abstrait aux yeux de quiconque n’a jamais pété que dans la soie et, par voie de conséquence, au-dessus de son propre orifice[1].  

Un accident… Vraiment? 

Y'a pas à dire : beau coup de théâtre… et de balai! En provoquant cette sortie en masse des vieux acteurs par les côtés cour et jardin à la fois, on dégage ipso facto la scène et, surtout, on rajeunit la troupe, ce qui, tiens donc! permet d'aplatir au max l'enveloppe des cachets à verser, si minces soient-ils déjà pour les seconds rôles, toujours les premiers sacrifiés pourtant. Et tant pis si la qualité de la « performance » générale risque d'en pâtir! Opération « âge d'or dehors » réussie : aux yeux des gestionnaires d'opérette, c'est tout ce qui semble compter dans l'immédiat!  

Oh que ça sent la gestion à courte vue, tout ça, pour ne pas dire à l’aveugle! C’est qu’on se rapproche dangereusement, ici, des travers de la Ligue nationale d’improvisation! Rien qui laisse présager un spectacle intéressant, en tout cas. Tenez! y’aurait comme une menace de pluie… de « claques » à l’horizon, que ça ne m’étonnerait pas le moins du monde! 

En tout cas, par les temps qui courent, ou plutôt qui croulent ou roulent… carré, Jean qui rit  est totalement éclipsé par Jean qui pleure… Justement, y'a des gens qui pleurent; je le sais, j'en connais!

« Ça fait que… » 

L'urgence, le besoin de dire quelque chose, je le ressens en songeant à tous ces boss – depuis les plus grands jusqu'à ceux dits « de bécosses »… portables – qui, en vertu de leur sacro-saint et combien commode « droit de gérance », risquent à tout moment de s'estimer parfaitement fondés à procéder à une restructuration aux allures de grand ménage, style « traitement minceur de choc » assorti d’une « cure de jouvence extrême ».       

        Or, à l’aube de leur « sexagénat » (ç’a sûrement moins à voir avec le sexe qu’avec la gêne de se faire traiter – plus subitement que subtilement – de « vieux »… à 60 ans), nombre de travailleurs n’ont tout simplement pas envie, et encore moins les moyens, bien souvent, de se voir « retraiter » de la sorte par des coupeurs de tête professionnels qui, eux, malgré cette terrible carence de fonds dont ils vous martèlent les oreilles ad nauseam, touchent un traitement faramineux, et qui, quelque empathiques qu'ils aient le toupet de se prétendre à votre égard, restent intraitables dans l'exécution de leur sale boulot : faire tourner la machine à plein régime, et ce, À TOUT PRIX… mais AU MOINDRE COÛT (?!), quitte à faire rouler les têtes, de préférence les grises! « Regrettable! » qu’ils disent… Essayez plutôt « indécent! » : ça rime avec « aberrant »… 

Ils n’ont que ce mot-là à la bouche! 

Toujours est-il que ces p’tits faiseurs doublés de grands « défaiseurs » devant le Provisoire (par opposition à l’Éternel) se donnent bonne conscience en vous gratifiant avec componction d’une prime de départ « volontaire»… disons « correcte », sans plus, puis c’est l’oubli instantané de leur part, que dis-je, l'amnésie totale et irréversible! En fait, c’est à partir du moment où ils ont décidé que vous ne figuriez plus dans leurs savants plans d’avenir que, comme par désenchantement, vous avez commencé à vous désincarner, à cesser d’exister à leurs yeux, lit-té-ra-le-ment! 

 « Nous sommes en mode transition! » qu’ils claironnent. Et ce mot – transition – dont la rime avec restructuration et rationalisation doit leur filer des frissons et leur flatter les tympans au point de les conduire jusqu’aux rives de l’orgasme textuel[2], ils le répètent inlassablement comme un mantra aux vertus hypnotisantes, le regard verrouillé droit devant. Ce détachement, cette indifférence leur est d’autant plus facile qu’ils ont pris soin de se harnacher d’un solide carcan et d’œillères enveloppantes, histoire de ne point se laisser distraire par les « dommages collatéraux » qu’ils ne manquent pas de provoquer tout le long de leur parcours tortueux. On n’arrête pas tous les « progrès », mille fois hélas!

  « En voiture! » puis… « Hors voiture! » 

        La morale de tout ça, si tant est que l'on puisse parler de morale ici, eh bien! la voici! Si vous avez allègrement franchi le cap du demi-siècle depuis quelque temps déjà et que votre patron, d’un air trop calme (lire : rien moins que « déjanté »), insiste pour vous amener « faire un tour de machine » – ceinture non bouclée, et à tombeau ouvert!?! – en invoquant des arguments qui ne tiennent pas la route, méfiez-vous! Ce n'est plus, bien sûr et hélas, votre « virginité » qui est menacée en fin de course, mais votre dignité, votre fierté, votre « gagne-vie », votre job, quoi!  

        Croyez-moi, vous avez alors tout intérêt à vous bien cramponner dans les virages si vous ne voulez pas, à votre tour, être proprement « éjecté »… pour vous retrouver, dans quelques mois au mieux, sur le trottoir en face du bureau, une boîte de carton dans les bras, puis, quelque temps après, sur un banc de parc (comme moi, sur la photo : quel hasard, dites donc!), à « jongler » à votre avenir professionnel, cet avenir qui se trouve désormais derrière vous[3] 

Ouais! faute de faire gaffe, Gros-Jean-qui-pleure comme devant, que vous risquez d'être, mon vieux… et plus vite que vous ne le pensez! 

Jean-Paul Lanouette, traducteur réduit au rôle d'« écrivant » du dimanche… pour l’instant 

(jplanouette@sympatico.ca)

[1] Façon polie… tiquement correcte de dire « plus haut que l'trou »!

[2] En d'autres termes, ça les fait presque jouir sur pied, du moins les plus « power trippeux » d'entre eux et elles – nul besoin de les nommer : ils et elles se reconnaissent, et c'est là tout ce qui m'importe, au fond.

[3] Dans’ vie, vient parfois un moment où l’on vous force à apprendre la conjugaison du verbe « travailler » au futur… antérieur.

 

Jean-Paul Lanouette

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