Comme promis à la fin de ma dernière chronique « estémienne* », je vous parlerai aujourd’hui de ces vieux qu’on ne veut plus voir – pas même dans une glace, parfois (cela est du moins vrai de certaines et certains qui, refusant de vieillir, encaissent fort mal les effets craquelants de l’inéluctable passage du temps sur leur photo passeport). Je vous entretiendrai, disais-je donc, de ces « aînés » dont on ne souhaite plus partager le quotidien. « Pas à la maison, je vous prie, ni même dans ma cour, et encore moins au bureau! »  

Ouais! tout comme vous, je me demande quel sort il conviendrait de réserver à toute cette encombrante flopée de baby-boomers désamorcés, dont on vient d’ailleurs de m’envoyer enrichir les rangs de façon plutôt cavalière? Hélas ou tant mieux (selon que l’on est jeune ou vieux), un second cataclysme planétaire ne ciblant, celui-là, que les dinosaures gris ne peut être envisagé comme « solution finale »! Que faire, alors? 

Pour l’instant, en attendant « eul Bon Yeu sait dequecé » (Dieu sait quoi, s’il faut tout vous traduire), force est de s’en remettre au système débrouille…  

*Par « estémienne », il faut entendre : parue dans le SorelTracy Magazine, ou STM. 


Prêt à swinguer… s’il le faut!?!
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« Couvrez ce vieux que je ne saurais voir! »

                                                                  (Molière… « revisité »)

 Opération dégommage

Vivant modestement et exclusivement de ma plume en qualité de… disons « homme de mots », sans jamais me poser de questions triviales sur la nature de mes fins de mois, je me trouvai fort dépourvu quand la crise fut venue au sein de la boîte qui m’employait depuis plus d’un quart de siècle (trente ans, pour être précis ou… maso).

Devenu en quelque sorte un anachronisme sur pied dans un organisme qui se veut et se clame voué à la « jeunesse », il me faut songer à gagner ma croûte ailleurs et… autrement. Pas évident, d'autant moins que je ne carbure ni à l'argent ni au pouvoir : mes ambitions se situent à un autre niveau – « probablement dans une autre dimension », opineront certains moqueurs. Tant mieux! pour mon moral et ma santé mentale, mais hélas! pour mon portefeuille!

D'autre part, pour mon plus grand malheur, je n'ai jamais fait partie d'aucune clique! Or, dans’vie – et encore plus dans le beau monde des communications –, l’important, ce n’est pas ce qu’on connaît, mais qui l’on connaît, pas vrai? Comme je ne suis pas du genre « socheul » (social prononcé à l'anglaise) ni « téteux », que je ne connais personne capable de me « ploguer » (pistonner) queq’part… ou qui soit disposé à le faire, je ne peux même pas m’essayer au name-dropping, cet art vulgaire qui consiste à lâcher dans un salon mondain les noms de personnes influentes ou avantageusement connues, en laissant entendre que ce sont des « potes » à soi, que l'on a pratiquement gardé les sangliers domestiques ensemble…

Hélas! ça ne s'arrête pas là au chapitre de mes « faiblesses »! Il faut que je vous avoue… Vanter un truc, de préférence un bon produit? Pas de problème! Célébrer une idée noble? R'gardez-moué ben aller! Je veux dire : laissez-moi faire! Brosser un portrait fidèle, pas du tout complaisant, de l'« honnête homme »? Je suis votre… homme!  Ouais! tout ça, j'y arriverais sans peine, les mots me venant d'ordinaire assez aisément… Mais, autre paire de manches pour ce qui est de me « vendre » moi-même à un employeur ou à un client potentiel. Là, je l'ai juste pas, l'affaire!

Conclusion évidente : côté perspectives d'emploi, l'horizon semble bouché. Comme disent les Hexagonaux, nos chers cousins d'outre-Atlantique, c'est plutôt mal barré pour moi… Non mais, quelle perte incommensurable pour la société! Cela dit en toute ironie, bien sûr. Voilà un p'tit drame personnel qui se peut résumer en un mot comme en mille : « J'ai pus d'job, pis j'ai la chienne! C't-y assez clair? »

Tout à fait out, le gris?

Je ne suis pas sans me douter que mon âge canonique joue en ma défaveur; 58 ans bien sonnés, c’est en effet un âge que l’on peut aisément qualifier de « trop » respectable dans un monde du travail où le « gris » est mal perçu, quasi out. D'ailleurs, n’y a-t-il pas tout un marché, fort lucratif, pour les teintures, moumoutes et autres greffes capillaires? Désolé, mais, très peu pour moi, le camouflage, merci! What you see is what you get!

Que faire? Rester à la maison et grossir les rangs déjà fort bien garnis des pigistes? En désespoir de cause seulement, car, pour vous étouffer une créativité galopante, il n’y a rien de mieux que de se farcir, confiné chez soi, la rédaction ou la révision d'une série de modes d’emploi, de rapports financiers ou d'exposés pseudo-scientifiques! Et c'est encore pis quand ces sinistres documents sont à traduire, c'est-à-dire à faire passer, à coups de dictionnaires techniques, de la langue de Shakespeare vers celle de Molière! Croyez-moi, ça vous nécrose la folie douce et vous assèche l'encre vive dans le temps de l'écrire, ce genre de charabia, si souvent servi sur papier glacé chèrement recyclé. 

Non mais, j'y songe : y’a pas que l’écriture pour mettre du beurre sur les toasts de sa famille! Au dire de ma tendre moitié, et aussi de certaines compagnes de travail fort compatissantes – dont la vue fléchissante déforme sans doute les détails « intéressants »  au point de les gommer –, au dire même de petits messieurs à l’esprit ouvert (?!?), j’ai  toujours « de beaux restes ».

« Vous travailliez? Eh bien! dansez maintenant! »

(La Fontaine… « revisité »)

Ainsi donc, « un coup mal pris », je pourrais presque me résoudre à « vendre mon corps », c’est-à-dire aller faire le « gogo-boy » – oups! disons plutôt le « gogo-papi » – sur un stage de province… devant des représentantes du beau sexe (en passant, on ne parle plus de sexe « faible » que pour décrire l’appendice mâle qui a besoin de Viagra pour s'exprimer, c'est-à-dire redevenir « pleinement » opérationnel). 

Danser? Et autrement qu’en ligne?! Ce move osé de ma part, ce serait comme une manière d’invitation lancée urbi et orbi, invitation à venir -couvrir ce vieux que mon ex-employeur, lui, ne veut plus voir!

Tiens donc, il me semble déjà les entendre crier à l’unisson, les affamées de sensations fortes : « Au poteau, le dino! » Bien que, en l’occurrence, il ne s’agirait point pour moi d’affronter un peloton d’exécution, mais plutôt de me livrer à un simple (?) numéro de pole dancing, j’ai mes hésitations, mes réserves… comme un p’tit restant de gêne, quoi!

Un brin « frues »  à cause de ce « branlement dans l’manche » qu’elles ne manqueront pas d’observer, sentir ou deviner chez moi, ouais! franchement impatientes de se rincer l’œil à mes dépens (lire : grâce au déballage progressif de mes charmes surannés[1], opération à mener comme il se doit avec vergogne évidente et maladresse naturelle, c’est-à-dire non feinte, histoire de rendre le tout encore plus cute, voire plus excitant), d’aucunes parmi mes nombreuses admiratrices à venir verront, dans ce peu d’empressement de ma part à empoigner la barre verticale, les ultimes manifestations ou soubresauts d’une conscience résiduelle à évacuer au plus sacrant par l’action : « Au “potteau”, comme elles disent à Québec, et qu’ça spinne en masse, mon Ti-Gris[2]! »  

La faim justifie-t-elle tous les moyens?

Si, au moins, j’étais encore en âge de monnayer mes charmes, j’dis pas! Or, à 58 piges bien comptées, je ne me vois guère – ni n’ose davantage m’imaginer – en train de m'« exécuter » (lire : me trémousser le popotin dans le plus simple appareil) devant un aréopage exclusivement féminin, composé d’un large éventail de spectatrices connaisseuses et, partant, fort exigeantes : de la minette en manque de père ou craquant pour le « gris intégral » à la gente dame d'âge mûr à l’œil par trop inquisiteur, en passant par la poupoune liftée du faciès, liposucée du bide, collagénée de la lippe ou siliconée du poitrail, sans oublier la bourgeoise égarée en quête de petits émois coupables…   

Le derviche ivre

Non! je ne me vois vraiment pas… m’appliquer, comme ces gigolos imberbes aux muscles gonflés à l'hélium, à faire des effets de bassin en même temps que des jeux de lèvres ou de prunelles bien étudiés, tout en tournoyant tel un derviche ivre, ouais! comme un ridicule, voire pathétique pantin désarticulé… autour d’un poteau métallique auquel je me retiendrais inélégamment par un seul bras. Vous voyez le « portrait » d'ici? Ployant sous le poids des ans, voici que « performe » pour vous l'Adonis de jadis… devenu un Clovis à bretelles (sorte de Ti-Coune attardé), sans autre vice apparent que celui dit « de forme » qui se manifeste inéluctablement avec l'âge. On n'est pas loin du freak show, là, messieurs-dames! Alors, bonne idée que de me laisser aller me « faire aller »? Pas sûr…

Décidément, je serais bien inspiré de m’en tenir à la plume, je veux dire au clavier d’ordinateur, même dans ma vie après JCM (Jeunesse Canada Monde), cette boîte vraiment « spéciale » dont – à l'instar sans doute de bien d'autres vieux « sacrifiés » de mon espèce – j'ai le logo tatoué sur le cœur. 

Jean-Paul Lanouette,
homme de mots... sans voix
jplanouette@sympatico.ca


 
[1] Ne se rend-on point par milliers en Grèce, chaque année, pour aller admirer… des ruines encore plus inertes qu’immobiles?!

[2] Ti-Gris, voilà un surnom que je me plais à interpréter comme une déformation affectueuse de Tiger… à moins qu’il ne puisse s’agir du nouveau pendant masculin de Tigresse (excusez le mot « pendant », qui risque ici de porter à confusion)? Je vous en prie : qu’on me laisse, sinon mon pantalon, du moins mes illusions…

 
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