« En passant... »
Textes de Jean-Paul Lanouette

Nous sommes en 1968, et… 

            Nous sommes en 1968, et… la guerre fait toujours rage au Viêt-nam – nos belliqueux voisins d'en bas, ces chers Américains, ne savent pas encore que, pour la toute première fois de leur «glorieuse» histoire militaire, ils devront se retirer d'un conflit guerrier en vaincus, en losers pitoyables, la queue bien pendante entre les deux jambes.

            Nous sommes en 1968, et… mes collègues étudiants de Paris ont profité du printemps pour transformer la Ville lumière en Ville rock'n'roll. La grande Contestation de mai 68, ça vous dit quelque chose? 

            Nous sommes en 1968, et… Charlebois, qui se contente de boire la bière plutôt que de la brasser à Chambly, fait un tabac avec Lindberg, hymne québécois nouveau genre qu'il entonne sur scène avec la très myope Louise Forestier; il se fera aller les «pleumas» jusqu'en France! 

            Nous sommes en 1968, et… je viens tout juste d'avoir vingt ans. À l'heure où il est à la mode – et presque de mise – de tirer à boulets rouges sur le «joual», je décide, plus par provocation et dérision que par conviction profonde, de me poser en ardent défenseur de notre langue «chevaline», et cela, contre tous ces vieux cravatés empesés qui s'écoutent parler pointu. Histoire de déranger les plis rectilignes de la soutane bien repassée de Jean-Paul Desbiens, dont le best-seller sur et contre le «joual» (Les Insolences du frère Untel) est devenu une référence incontournable en matière de langue, j'y vais de ma propre harangue auprès de mes frères et sœurs québécois. Soucieux d'être le plus convaincant possible, je choisis de me glisser dans la peau d'un homme mûr, d'un vrai gars du peuple, fier et intelligent, mais forcé de travailler pour un Anglais afin de gagner sa croûte. 

            Voici donc ce que j'écrivais… il y aura bientôt 35 ans. En effet, je vous livre ici sans prétention un court billet pondu un soir de fin d'été… On voudra, j'espère, faire preuve d'indulgence à l'égard du jeune homme que j'étais alors; à vingt ans, on a, non point les moyens de ses ambitions, mais les maladresses de sa fougue. 

Apologie du joual 

            Ah! qu'il m'est doux d'agir en défenseur incorruptible du «joual» (n'est-ce pas que l'on apprend de beaux grands mots en syntonisant le «dix[1]» régulièrement); en effet, cette langue on ne peut plus savoureuse se voit depuis si longtemps acculée au mur de l'incompréhension que je ne peux, sans être lâche, rester de glace et m'enfermer dans un mutisme approbateur de par l'inaction qu'il suppose (c'est pas ben dit, ça?). 

            Pour vous dire bien franchement, le franco-canadien, dans la plus pure signification du terme, n'est souvent remis en question que par une meute de «maudits franças» en mal d'engueulades, ou encore par quelques mecs stationnés à Radio-Canada qui, s'improvisant puristes par la force des choses, se font un plaisir d'appuyer sur des syllabes que tout bon Québécois respectable se doit de prononcer en sourdine; ne sommes-nous pas à cet égard les princes de la diphtongue : soyons donc fiers d'être enfin passés maîtres en un quelconque domaine… 

            Vous me direz que j'exagère tout de même un petit peu – c'est peut-être vrai; que voulez-vous, un homme ne peut renier entièrement ses origines, et c'est pourquoi il me faut accepter avec résignation cette tendance à tout amplifier, tendance qui se fait jour comme la trace indélébile de mon tempérament latin. 

            « Diantre et ventre saint gris! » se seraient écriés tous les Louis de France pour peu que l'on se fût attaqué à la valeur de leur discours. Mais, voici de mon côté l'exclamation que j'offre en réponse à ceux qui ne se lassent de dégrader le «joual», ce vivant miroir de nos traditions : « Crissez-moé donc patience, gang de fins finauds! » (il est à noter que l'accent se trouve sur le verbe du début de la phrase). Enfin, vous pouvez constater que, loin de marquer une simple surprise, ma répartie va droit au but; exprimer le plus par le moins, n'est-ce pas à cela que l'on devrait juger de la richesse d'une langue? 

            Cependant, une mise au point s'impose. Le français de France ou le Parisian French (cf. P. E. Trudeau, ennemi juré du lousy French) se veut la langue d'un peuple qui se plaît à s'écouter discourir; notre «joual», lui, se révèle la subsistance d'une parlure qui, depuis le fâcheux incident des plaines d'Abraham, doit faire face à l'horrible réalité du fait anglais (ce dont, soit dit en passant, nos frères d'outre-Atlantique n'eurent pas à souffrir, s'étant embarqués illico sur leurs caravelles, nous laissant pour seuls souvenirs une langue et une religion). Il va sans dire que le «joual» ne pouvait sortir intact d'une telle rencontre : il se devait de subir les assauts de moult anglicismes avec une philosophie frisant de trop près l'inconscience… 

            Après tout, c'est d'la faute à qui si le Français, qu'il soit balayeur ou académicien, profite de ses temps libres pour lire du Sartre ou du Camus, alors que le Canayen franças croit accéder au bonheur le plus légitime lorsque installé devant la T.V., entre un bon «Kik Cola» et une grosse canisse remplie de «chips» jusqu'au bord? 

            Et, pour mettre un terme à cette trop brève allocution, soyez assurés, chers frères, que je n'ai pas cherché à employer le principe de base trop souvent appliqué par bon nombre de nos puristes : un flot de paroles dans un désert d'idées. 

            Sur ce, je vous remercie de votre attention et demeure votre tout dévoué. 

                                                Johnny Tremblay,
                                                camionneur chez
Wilson Bros.

[1] Le «dix», c'est le poste 10, CFTM… devenu le grand (?) réseau TVA.

Jean-Paul Lanouette
jplanouette@sympatico.ca



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