UN
GOÛT INNOMMABLE? –
Pour en finir avec la slush! Il
y a la slush, puis il y a encore
la slush : l'hivernale, que tout
le monde abhorre, et l'estivale, que les enfants adorent.
Ouais! d'un côté, ce frasil urbain
qu'on foule aux pieds, c'est-à-dire l'inévitable «purée des rues» à
laquelle j'ose donner le nom joli de frasoue[1],
et de l'autre, une gâterie «polaire» très populaire, la… comment
devrait-on dire? M'étant
déjà suffisamment étendu sur
la première (au figuré ou, si vous préférez, par écrit), et même
dedans (au propre!?!…
façon de parler, car tomber «à pleine face» dans cette brune mixture,
c'est toujours plutôt salissant comme expérience), oui! ayant traité
plus qu'assez de l'insatiable «mangeuse» de bottes de cuir et de
carrosseries de voitures, je m'attaque aujourd'hui à la seconde, à
savoir la «mangeable». D'entrée,
il est à noter que dans le cas de la friandise
glacée qui, l'été venu, vous insensibilise le «gargoton» en moins
de deux, slush pourrait, d'après de zélés «francisants» qui n'en sont
point à une extension de sens près, se traduire avantageusement par barbotine…
trouvaille ayant, semble-t-il, fait l'objet d'une recommandation tout ce
qu'il y a de plus officiel de la part de l'Office québécois de la langue
française! Barbotine?
Je ne déteste pas, au contraire, même si, pour l'instant, le Petit
Robert nous informe que celle-ci ne doit être prise pour rien d'autre
qu'une «pâte délayée» ou qu'un «mélange très fluide de ciment et d'eau»; il
s'agit donc là, on le devine, de quelque chose de plutôt «soutenant»,
mais au goût forcément douteux compte tenu des ingrédients qui le
composent. De quoi souhaiter qu'il y ait loin de la coupe aux lèvres! La
question à nous poser est la suivante : appliqué à cette espèce de frasil
parfumé offert dans les comptoirs laitiers et les dépanneurs «in»,
le mot de barbotine, vocable au
demeurant expressif et croquignolet tout plein, parvient-il à exciter nos
glandes salivaires et à titiller nos papilles gustatives, à tout le
moins celles de notre progéniture? Je crois que si, mais possédons-nous
là pour autant le terme le plus
indiqué? Car j'y pense : s'agissant en l'occurrence d'une forme
certaine de frasil[2] – comestible, celle-là –, ne vaudrait-il pas
mieux, histoire de «rester en famille», c'est-à-dire d'exploiter au
max les multiples possibilités qu'offre la très maniable racine -fras-
en matière de néologie, oui, ne serait-il point préférable qu'on nous
servît la chose sous un nom du genre de frasine ou de frasoune,
deux substantifs (j'ai failli écrire bourratifs!) ma foi tout aussi appétissants
et… rafraîchissants que barbotine,
non? Frasine et
frasoune : ce sont là désignations françaises possibles de la slush
«ingestible» – donc commercialisable
– qui, pour justifiables qu'elles se révèlent, ne s'imposent pas
d'emblée, tant s'en faut, et j'en conviens le premier. Ça «passerait»
en tout cas nettement mieux que, par exemple, névine
ou névane, dérivés logiques
et, partant, hautement prévisibles du terme névé
(«neige durcie»), à partir duquel, pour traduire la réalité slush
telle qu'elle se manifeste dans nos rues l'hiver, on a aussi concocté la névasse,
«créature» d'inspiration purement radiocanadienne dont j'ai déjà décrié,
dans un billet antérieur[3], l'absence patente de pertinence… en sol québécois
s'entend. En
attendant très, très patiemment que s'impose de lui-même le terme «définitif»
(frasille? frasette?
frasouille?… de votre côté, que suggéreriez-vous?), le mot
presque «parfait» qui satisfera à peu près tout le monde et son père,
qui ne vous laissera froid qu'au niveau du gosier, quelle dénomination
conviendra-t-il de privilégier, l'été prochain, chez notre glacier
favori : slotche, ou barbotine, ou
– retour à la case départ – slush???
Personnellement, subjectivité du «géniteur» oblige, je craque pour frasine,
qui, facteur non négligeable, rime avec barbotine,
appellation déjà largement utilisée et – répétons-le –
officiellement recommandée. Jean-Paul
Lanouette, traducteur agréé (OTTIAQ – no 892) samedi 25 janvier 2003
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