« En passant... »
Textes de Jean-Paul Lanouette

Frustration extrême : la suite. Le miracle que j'espérais tant ne s'est point produit. Même Ronald n'y pouvait rien! Mon texte perdu le restera à jamais… perdu. Pour en savoir plus sur cette mésaventure (disquette qui m'a ch… dans les mains), voir mon billet de la semaine dernière qui, justement, s'intitule… « Frustration extrême ». 

La mort dans l'âme, je me suis donc résolu à réécrire le tout. Plutôt que d'essayer de retrouver dans ma mémoire défaillante des mots, des tournures de phrase qui flottent désormais dans le néant virtuel, j'ai tâché de pondre quelque chose de neuf : la copie, c'est pas mon fort!  Voici le résultat de cette seconde tentative. Est-ce mieux (ou moins mauvais) que la première version? Je ne saurais dire. En tout cas, c'est différent.  

Mais, en définitive, la seule chose que j'espère, c'est que cette mini-tranche de vie, que je vous invite à partager, réussirait «à coup sûr» à arracher un petit sourire à mon ami Dominique… s'il était encore de ce monde. En passant, salut «Dom»!

Coup de circuit dans un fond de cour

            Y'a de ces p'tits bonheurs qui ne feront jamais la une d'aucun journal, de ces moments de joie simple dont, en général, radio et télé ne veulent rien savoir… pour la simple raison que ce n'est pas «ça» qui peut faire gonfler les sacro-saintes cotes d'écoute, statistiques faisant foi de tout dans le beau monde des communications. Dommage qu'il en soit ainsi, ou, à bien y penser, tant mieux!… Car n'est-ce point dans l'anonymat que ces parcelles de vie souriante expriment le mieux toute leur vigueur et leur beauté pure. 

            Il y a de cela une dizaine de jours, installé devant le petit écran, je regardais distraitement Mike Weir enfiler, avec l'aide du champion de l'année précédente, l'emblématique veston vert remis au vainqueur du tournoi des Maîtres. C'est alors que j'ai été frappé par l'éclat du sourire et la brillance du regard du golfeur aussi gaucher que canadien (y'a-t-il un rapport entre les deux qualificatifs?). C'est sûr, quand nul autre que le grand Tiger consent de bonne grâce à jouer les majordomes en vous aidant à revêtir votre tout nouveau veston, fût-il couleur gazon (pas Tiger, le veston!), il y a tout lieu de parler de bonheur «extrême»

Or, allez savoir pourquoi, ces images retransmises à l'échelle planétaire m'ont ramené plus de trente ans en arrière, plus précisément sur le balcon exigu de mon vieil ami «Dom». D'environ vingt-cinq ans mon aîné, Dominique Soucy venait d'être «retraité» pour raisons de santé. Perclus d'arthrite, cet ancien gardien de but qui avait joué dans le junior, «jouissait» depuis pas mal d'années d'un rayon d'action plutôt restreint (seule façon politically correct que j'aie trouvée de parler de son autonomie réduite). Homme intelligent et sensible, mais peu fortuné, il avait appris à se ménager des bonheurs pas compliqués… et gratuits. Par le plus pur des hasards, j'ai eu la chance insigne d'être le témoin privilégié d'un de ces instants… non moins privilégiés. 

Par une belle et très chaude soirée de juillet, queq' part au début des années soixante-dix, je décide de rendre visite à Dominique, d'aller lui piquer une de ces petites jases qu'il apprécie tant. Il y a une couple de mois, sa femme et lui ont dû déménager dans un tout petit appartement au loyer plus abordable. Voyant l'aspect délabré de l'immeuble dont un ami commun m'a refilé l'adresse, j'hésite à me montrer. En effet, je sais le bonhomme orgueilleux – disons plutôt : fier –, et il n'aimera peut-être pas que je le voie «échoué» en pareil lieu. Bah! ce ne sont là que détails négligeables entre «chums». Je sonne donc! Sa femme vient me répondre; nous échangeons quelques banalités et politesses. « Dominique écoute son baseball sur le balcon », me glisse-t-elle à voix basse, comme pour m'avertir que c'est un fervent fidèle que je m'expose étourdiment à déranger… en plein office religieux! M'indiquant du regard la porte donnant accès au «mini-sanctuaire» enveloppé par des rumeurs de foule, elle m'invite à aller rejoindre son homme, puis s'éclipse dans le salon, où l'attend sans doute la reprise estivale de quelque téléroman sirupeux. 

Dans la fenêtre de la cuisine se découpe le derrière de la tête immobile de Dominique; quelques enjambées encore et me voici sur le pas de la porte entrouverte. 

Voici à peu près à quoi se résume le décor : petit balcon d'à peine six pieds sur quatre, «agrémenté» d'un petit fauteuil de jardin pliant en aluminium et d'une petite table ronde sur laquelle trônent un petit transistor et une petite bière. Décidément, tout est… petit, sauf le type dans le fauteuil, qui en impose, tant au propre qu'au figuré. 

Le balcon accroché côté cour domine un univers clos et «drable» en masse. En effet, il donne sur un terrain étroit mi-asphalté, mi-gazonné (façon de parler, puisque ce sont en fait de mauvaises herbes qui constituent majoritairement la portion verdure); vous l'aurez deviné, il ne s'agit pas d'un losange classique, loin de là, mais d'un vulgaire rectangle délimité de chaque côté par une clôture de type Frost et, au fond, par le mur décrépi et sans fenêtre d'un gros garage au toit dangereusement gondolé par en dedans. Rien qui puisse porter ombrage à l'arrière-champ de l'on ne peut plus vénérable Wrigley Field de Chicago, quoi! 

«Dom», qui ne s'est pas encore rendu compte de ma présence, semble littéralement suspendu aux lèvres du descripteur invisible «officiant» derrière la façade sonore de son micro. La petite radio grésillante tonitrue à haut-parleur que veux-tu! À le voir ainsi captivé, le Dominique, on jurerait qu'il se trouve dans la loge «corporative» des Bronfman, rien de moins! 

Claquement sec : presque aussitôt, clameurs de joie d'une foule en délire et commentaires enflammés d'un descripteur au bord de l'apoplexie s'entremêlent, s'entrechoquent et s'«enterrent» mutuellement pour produire une sorte de vague déferlante qui, sur son passage, balaie toute trace de morosité du visage de Dominique, y allumant même un sourire de contentement… sans prix. Les Expos viennent d'en sortir une du terrain : un coup de circuit, finis-je par deviner, moi qui aime autant le baseball que la bisbille, c'est-à-dire pas tellement! Qu'importe, la satisfaction de «Dom» fait plaisir à voir, et elle me réchauffe le cœur. Dire que cette satisfaction-là, je suis le seul à pouvoir l'immortaliser, sinon sur pellicule, du moins dans ma mémoire! Je m'estime vraiment béni des dieux d'être à ce bon endroit au bon moment. 

« Salut, "Dom"! » que je lui lance enfin, avant qu'il ne finisse par s'apercevoir qu'on l'observe. « Tiens donc! si c'est pas mon ami "Jay-Pea", dit-il avec chaleur, tire-toi une bûche! » Il m'invite alors à déplier le fauteuil «accoté» derrière la porte… et, histoire d'essayer de partager le bonheur tranquille qu'il vient de me dévoiler sans le savoir, je finis d'écouter le match avec lui en sirotant une p'tite cervoise tout ce qu'il y a de plus «tablette», selon les règles de l'art, un art bien particulier dans lequel mon hôte est d'ailleurs passé maître – quel «art», au juste? Eh bien! celui d'étirer au max une seule bouteille, c'est-à-dire la faire durer au moins neuf manches : à peine un peu plus d'une once par manche, c'est pas évident sous la canicule! 

Hélas! un tiers de siècle plus tard, même lorsque l'ineffable, l'increvable Rodger lâche son fameux « Elle est partie! » je reste de glace : je n'ai toujours pas appris à sourire béatement comme le faisait si bien «Dom» quand il se cognait un coup de circuit dans son fond de cour

Ouais! comme on dit, la fièvre du baseball, tu l'as ou tu l'as pas; manifestement, pour mon plus grand malheur, je l'ai juste pas, c'te maladie-là! Faudrait peut-être que je demande à Mike Weir de me prêter son «beau» veston : la couleur de la chose, elle, ne manquerait pas de me faire… sourire

J'envie sincèrement celles et ceux qui sont à ce point fanas de baseball qu'ils peuvent se taper la radiodiffusion complète d'un match… et adorer l'expérience! Moi qui n'ai jamais pu tenir le coup plus de trois ou quatre manches devant la télé, fût-ce pendant les séries mondiales d'octobre, j'ai peine à croire que certains accros trépignent d'impatience à la seule évocation d'un programme double à venir… présenté uniquement sur les ondes de CKAC. Comment est-ce possible? Mystère et boule de gomme. En tout cas, il y a trente ans, j'ai au moins compris que «Dom», lui, assistait vraiment «en personne» à tous les matches, depuis son balcon! Croyez-moi, c'est lui qui avait le meilleur siège en ville! À coup sûr!!! 

Je le sais, j'y étais! 

Jean-Paul Lanouette
jplanouette@sympatico.ca


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