« En passant... »

Cette fibre patriotarde dont on confectionne les drapeaux
– Guéguerre toute «textile», ou l'art d'en découdre avec le vent

 C'est sûr, M. Landry aurait dû y songer à deux fois avant que de ravaler au rang de vulgaire chiffon le rouge Unifolié qui flotte au vent « d'un Pacifique à l'autre », comme l'aurait si bien dit «Piton» Ruel, ancien coach du Canadien[1], et sans doute père spirituel de Jean Perron, celui-là même dont les fameux dérapages verbaux non contrôlés[2] ne laissent pas de nous dilater la rate. 

Un drapeau, c'est comme un puck : il ne faut pas «niaiser» avec ça, d'autant moins que s'il y a quelque chose d'incatégorisable, c'est bien le rapport des gens à ce rectangle de tissu, quelle qu'en soit la couleur et la provenance. 

Il reste néanmoins que, personnellement, la vision classique d'un neveu-de-Sam contemplant sa bannière étoilée « larme sur la joue et main droite sur le cœur » – holà! modérons un tantinet nos transports : j'ai bien failli me laisser aller a écrire « l'arme en joue visant droit au cœur »! –, il reste que cette vision, donc, m'a toujours défrisé sur les bords. Vilaine jalousie de ma part? Nenni! En fait, il y a que les attitudes cocardières me font royalement «suer», pour ne pas dire carrément ch…; allez donc savoir pourquoi! Or, heureux mortel que je suis, il se trouve que, justement, je pense connaître la raison profonde de mes préventions et réticences à ce chapitre. Laissez-moi plutôt vous raconter. 

À Contrecœur, village de mon enfance, il y avait un politicailleur gueulard (excusez le pléonasme plus patent que vicieux), partisan aveugle de Duplessis. Eh bien! le jour de la Saint-Jean-Baptiste, sa «devanture» de maison se transformait en un délirant îlot de pavoisement : des dizaines de Fleurdelisés et de drapeaux jaunes du Vatican ornés de la tiare pontificale battaient au vent généreux du bord du fleuve, témoignant de la ferveur orgueilleuse du bonhomme. Une façade appuyée sur le vide, que c’était, ouais! sur rien d’autre que du vent… 

Bref, en un mot comme en cent, le type en question faisait dans l'ostentatoire, «pis pas rien qu'à peu près », y allant toujours avec le gros «boutte» du mât. Ça peut vous marquer un p'tit gars pour longtemps, ça, monsieur!  Voyez un peu le résultat chez moi : sitôt brandi par le plus anonyme des quidams, le moindre mouchoir de poche devient à mes yeux étendard en puissance. Depuis lors, en effet, je suis violemment allergique à tout ce qui se veut emblème de bout de hampe : rouge ou bleu, Érable ou Lys, « chus pas capab'! » L'effet laxatif, non seulement du All-Bran, mais encore de la fibre patriotarde dont on confectionne tous les drapeaux du monde, je puis l'attester, en long comme en large! Mais ça, c’est mon problème à moi, et ma perception des choses, je ne souhaite l’imposer à personne. Ma’me Copps aime se draper dans le pavillon? Libre à elle, et je dirai même plus, grand bien lui fasse! Je n’ai pas à la juger là-dessus, encore moins à lui tenir rigueur de ses goûts et penchants, si douteux qu’ils me puissent sembler. Vous savez, moi, du moment qu’on ne force personne à applaudir, ça peut aller. Tout est dans ces mots, cher m'sieu Landry : « Live and let live! » 

Où veux-je en venir? À la vacuité de notre discours politique et à l'insignifiance de nos préoccupations. Se tirailler, que dis-je? s'entredéchirer sur la place publique pour une question de tissu (qui n’a rien de social, celui-là) ou encore de virage à droite, et cela, à l’heure où de véritables enjeux – santé, éducation, emploi, etc. – nous interpellent à tout va, et où une flopée de graves problèmes ne cessent de nous empoisonner l'existence pour de vrai, alors là, vraiment!!! Comme on dit en québécois : « Ça fait dur! » 

Les grandes gueules au ventre plein, et qui «pètent dans la soie» depuis leur plus tendre enfance, sont fort malvenues d'essayer de me vendre un drapeau ou une idée (Canada indivisible ou Québec séparé? Qui s'en soucie quand, par exemple, on a vu sa sœur obligée de traîner un cancer du sein à Plattsburgh?!), ces «gras-dur», disais-je donc, seraient plutôt mal inspirés de s’attacher à me faire avaler une idée avant même de songer à me donner des motifs de fierté. P'tit peuple, va! Est-il vrai qu’on a les dirigeants qu’on mérite? 

On l'a bien vu : quand s'est calmée – très momentanément, hélas!la valse à mille temps de la souveraineté, la saga colorée du drapeau s'est amenée en coup de vent. Le débat était ainsi relancé sur de nouvelles bases, un débat qui prenait toutes les allures d'une passionnante et édifiante guerre de détersifs. Qui lave plus blanc? M'sieu «Laundry» avait forcément une longueur d'avance... 

Il convient de préciser que je ne vise aucunement ici à provoquer chez mes concitoyens des prises de bec monstres, ni à déclencher sur grande échelle quelque joute oratoire (aratoire correspondrait peut-être davantage à la réalité, car ça vole souvent bas, très bas même, ces échanges qui ne demandent qu’à devenir musclés quand il s’agit de défendre qui sa Feuille, qui sa Fleur, qui les Étoiles amerloques…, bas, que ça vole, disais-je, bas au point d’égratigner le plancher des vaches!). Pareil affrontement verbal voué à la stérilité des dialogues de sourds ne saurait produire que du vent, un vent au demeurant même pas assez fort pour animer tant soit peu le moindre étendard de campagne électorale. Mon seul but, c'est de vous faire part d’une mienne réflexion, comme ça, en passant. Je poursuis donc sur ma lancée (une fois «crinqué», chus pas arrêtable!)… 

On comprendra que, à écouter discourir nos élus par les temps qui courent, j'incline à assimiler la parole au bruit et au... vent. Les grands cris du cœur et les «rah-rah!» éructés sur fond rouge ou bleu me filent de l'urticaire, me donnent envie d'agiter moi-même à tour de bras ou de hisser bien haut – afin qu'on le puisse voir distinctement d'une mare à l'autre – un drapeau, mais pas n'importe lequel, ça non : le blanc, symbole universel de la reddition sans conditions : ouais! messieurs-dames, je me rends, je me rends à tout… sauf aux arguments aboyés, lesquels, hélas, se révèlent invariablement aussi creux que spécieux et verbeux! 

Le moment serait mal choisi, chers politiciens, pour essayer de me titiller la fibre patriotique avec des niaiseries ou autres fadaises de votre cru. Ma fierté ne se nourrit pas d'envolées lyriques empreintes d'un sens théâtral achevé, mais de gestes nobles et beaux qui savent transcender le temps et les modes. 

Il faut bien le reconnaître, l'envergure d'un homme politique se mesure très souvent à l'importance des dossiers qu'il «pilote». Dès lors, comment s'étonner que l'élu naïf, pathétique baudruche gonflée à l'hélium, puisse croire que de donner du poids à ses idées, ce soit s'en donner à soi-même ipso facto? Hélas! quand on veut se ménager une place – si insignifiante soit-elle – dans l'Histoire (avec un grand H), toutes les bassesses, toutes les turpitudes sont envisageables. De même, s'il s'agit de faire remonter son parti dans les sondages, et cela, à mille jours d'un grand rendez-vous fixé avec l'histoire (pas de H majuscule, ici), le plus respectable des ministres ira jusqu'à donner le feu vert au virage à droite… au feu rouge! 

Ainsi, la «petite» raison d'État peut faire en sorte que la vie ou l'intégrité physique de quelques piétons et cyclistes semblent ne plus peser lourd dans la balance, n'est-ce pas Monsieur Ménard? Votre feu de circulation version «améliorée» vous aveugle, mon cher. Vous devriez pourtant vous méfier un tantisoit : un virage à droite aussi marqué, voilà qui  risque fort d'être mal perçu au sein même de votre propre parti, et pas rien que par celles et ceux qu'on appelle les «purzédurs»... 

Messieurs-dames qui nous gouvernez, revoyez au plus vite votre échelle des priorités en vous assurant pour une fois qu’elle s’harmonise aux besoins réels de vos commettants, apprenez à parler des «vraies affaires», à vous occuper des «vrais problèmes», même si c'est moins agréable, donc plus difficile, et que, faute de prêter à de belles images télévisuelles, ça échappe généralement à toute «couverture» médiatique. Et, enfin, que ne vous appliqueriez-vous, fût-ce sur le mode timide, à endiguer en amont le flot rugissant de toutes les déclarations incendiaires qui vous brûlent continuellement les lèvres, mais qui, en aval, n'ont jamais réussi qu'à nous échauffer les oreilles… encore un peu plus? 

Bon! cela réglé, de quoi diable ces humbles serviteurs du peuple à l'ego pourtant démesuré vont-ils bien pouvoir nous rebattre les pavillons? Faut pas s'en faire : il semble d'ores et déjà assuré que bouts d'autoroute et ponts figureront au prochain programme de leurs viriles empoignades verbales. Wow! j'en jouis littéralement sur pied à l'avance! 

Je veux bien reconnaître que mon propos peut, à l’occasion, s’écarter quelque peu des règles «téteuses» de la «nouvelle orthodoxie» (political correctness), mais, dites-moi, comment le déplorer en pareille occurrence? 

Autant de mots qui déboulent et se bousculent sous ma plume «claviérisée»! Tout ça pour un simple (?) bout de tissu… Étonnant et plutôt ironique, contradictoire même, non? venant de la part de quelqu'un qui se targue de prôner la modération. Peut-être me permettra-t-on d'invoquer en guise de défense le fait que, au moins, je me sois contenté d'écrire, ne soufflant mot, dans l'évident souci de ne point enchérir sur une cacophonie ambiante déjà passablement chargée, merci! 

En cette matière… disons hautement «textile», la recette à suivre par les femmes et les hommes dits de bonne volonté est fort simple : aimez votre drapeau, quel qu’il soit, et, surtout, respectez-le, sans en faire jamais un vulgaire article de foire de démonstration ou d’empoigne, point à la ligne.

Jean-Paul Lanouette, simple citoyen du monde, apolitique jusqu'à l'os, qui a passé l’âge de jouer au… drapeau, et qui tient à s'excuser bien bas d'ainsi oser «chiquer la guenille» en public

[1] Un club Canadien qui, ironiquement, est désormais American par son propriétaire, George Gillett…
[2] Déformations baptisées «perronismes» par les uns, «perronnades» par les autres.

samedi 21 septembre 2002