« En passant... »

Un p'tit chausson avec ça?!

 ou

L'indécence qui s'affiche

 (Retraite en or pour un champion de l'aluminium)

             Il y a de ces annonces qui vous filent des haut-le-cœur. Oui! vraiment!

À l'heure des compressions budgétaires à tout-va censées justifier les plus draconiennes mesures, à l'heure des restructurations assassines d'emplois, des vagues successives de licenciements aussi massifs que sauvages, des mises en disponibilité toujours imminentes qui «épée-de-damoclessent» au-dessus de toutes les têtes, des retraites prématurées plus ou moins «volontaires» (certaines offres étant impossibles à refuser)…

… À l'heure encore de toutes ces pratiques scandaleuses qui ont cours quasi impunément dans le vaste monde du travail (dont, par exemple, les habiles détournements de fonds qui, comme par désenchantement, laissent désespérément vides les caisses de retraite de gagne-petit mal «équipés» pour se défendre)…

… Oui! il y a de ces annonces à vous faire monter la bile dans la bouche, de ces communications officielles qui ne devraient jamais franchir les murs lambrissés des salles de conseil (d'administration) d’où elles émanent!

Tenez, on apprenait dans un passé encore récent que l'ex-président d'Alcan, Jacques Bougie, un «numéro un» au demeurant sympathique, du moins à en juger par sa seule photo (pourquoi ne serait-il point permis de coter une huile du secteur métallurgique d’après sa… mine?), on apprenait, disais-je donc, que ce frais retraité avait eu droit à une «prime de départ» de 4 millions U$, rien que ça! Cerise de taille sur un gâteau déjà passablement riche en «crémage»! On dira ce qu'on voudra, voilà qui accompagne assez bien la traditionnelle montre, celle-ci fût-elle en aluminium plutôt qu'en or!

 Quatre millions! Avez-vous songé que ce «modeste» boni représente à lui seul la paye de toute une vie de plusieurs travailleurs réunis! « Par cet arrangement particulier, le conseil d'administration a tenu ainsi à saluer plus de 20 années de dévouement et de réalisations », a indiqué un porte-parole de la société Alcan sur un ton que j’imagine, sinon détaché, du moins presque «normal», c'est-à-dire sans la moindre trace d'affectation. Comme c'est noble et touchant! Non? Rester digne et neutre dans la démesure : faut le faire!

Il me semble que le tout eût fort bien pu se faire un peu plus discrètement, mais, transparence oblige, des «déconnectés» plus ignorants que méchants qui sévissent dans les hautes sphères de la finance auront sans doute jugé préférable de claironner la nouvelle, et cela, jusque dans les oreilles des moins nantis et des carrément dépourvus – les «tout-nus» comme les désignent parfois certains mal-élevés insensibles, à la mémoire étrangement ou commodément trop courte pour se rappeler qu’eux-mêmes, aujourd’hui si prompts à regarder la plèbe de haut, sont pourtant loin d’avoir toujours pété dans la soie.

On le voit, il y a des contextes où, comme dans le domaine de l’habillement, transparent rime avec indécent, en devient même un synonyme parfait… Je vous le demande : tout juste à côté de cela, devant nos yeux à tous, combien de pauvres diables se sont retrouvés à la rue, sans rien, «le bec à l'eau», après trente ans à s'user la santé et la vie dans un trou malodorant et bruyant? C'est au nom de ces pauvres bougres que je m'insurge contre une disproportion trop souriante pour mon goût de simple citoyen.

Je sais bien que c'est le «système» qui veut cela. Ouais! il a le dos large, le système, un peu beaucoup pas mal! Pour un Tiger Woods couvert de millions par Nike, combien d'enfants qui passent leurs journées, pieds nus dans des sweat shops, à confectionner des godasses que, ô ironie! ils ne pourront jamais se payer avec les quelques sous quotidiens qu'on leur consent?

Et, inversement, pour une rafraîchissante haltérophile amateur (Maryse Turcotte, pour ne la point nommer) – quatrième à Sydney, donc «presque» médaillée olympique! – qui vit et s'entraîne à Brossard en se contentant de peanuts, combien d'obèses du base-ball dont le salaire écrit en chiffres (sept, voire même huit… sans compter les deux après la virgule décimale!) occupe plus d'espace sur un chèque que celui, écrit en toutes lettres, de la moyenne des ours? Dans ce dernier cas, le plus révoltant de l’affaire, c'est que, comble d’inconscience sociale, la plupart de nos artistes du losange croient dur comme fer le valoir ou le mériter, ce délirant salaire qui dépasse l’entendement… Je me contenterai d’ajouter, comme ils le disent d’ailleurs si bien eux-mêmes dans la langue de Bill Gates : "No comment!"

Je n'irai pas jusqu'à prôner une forme de néo-communisme (un communisme réinventé[1], en quelque sorte) susceptible de déboucher sur une plus juste répartition des richesses, car l’expérience de l'humanité, qui a nom Histoire, m'enseigne que le bon sens emprunte rarement un chemin tracé par la politique; ce qu’il faudrait envisager ou espérer – et à une très, très grande échelle –, ce n’est pas une «job» de tête ni de bras, mais de cœur, c'est-à-dire un… miracle, ni plus ni moins! Voilà sans doute pourquoi je ne suis pas d'un optimisme débordant. En effet, ne sommes-nous pas à l'ère dorée de la glorification de l'ego, où les mots de partage et d'empathie font un peu folklore, «granole», voire gnangnan?

Je ne connais pas les solutions à cette flopée de problèmes de société qui minent cette dernière à la base, mais d'être conscient que quelque chose ne va pas – même si ça ne met de beurre sur les toasts de personne – constitue un important premier pas à franchir pour quiconque. Ne croyez-vous pas? Impuissance n’est pas aveuglement, c’est là notre seule consolation, bien mince hélas! en attendant mieux…

Alors, joyeuse retraite, Monsieur Bougie, et sans rancune! Puissent vos fins de mois à vous ne point se révéler trop pénibles…

Jean-Paul Lanouette
jplanouette@sympatico.ca 

[1] Verbe remis à la mode par m'sieu Jean Charest, «cheuf» du Parti libéral du Québec.

samedi 26 octobre 2002