De la slush
à transformer en… – (suite
et fin) Comment
ne point tenir pour étrange, voire anormal, que dans un pays où l'on
patauge dedans allègrement cinq mois par année…
MINIMUM! on n'y ait pas encore accolé de nom vraiment français,
c'est-à-dire un terme qui, à la fois, fasse l'unanimité chez les
locuteurs de tous niveaux et corresponde parfaitement à la réalité? Je
veux parler bien sûr ici de cette riche mixture hivernale que, dans le
monde anglo-saxon, on appelle slush. Or,
il se trouve que certains «Olifants[1]»
– nom plaisant donné par votre humble serviteur à ces impayables hauts
salariés que sont les puristes sévissant à l'Office de la langue française
(OLF)[2],
ceux-là mêmes qui, depuis leur tour d'ivoire vertigineuse, où ne
tardent jamais à se faire cruellement sentir les effets pernicieux de la
raréfaction de l'oxygène, s'ingénient à faire de nous, à
notre corps défendant, des «brûleurs» d'arrêts
plutôt que stops[3],
des porteurs de gaminets ou, pis
encore, des bouffeurs de hambourgeois,
de croustilles et, ô horreur!
de mouflets (de quoi nous voir
coller l'ignominieuse étiquette d'anthropophages ou de «mangeurs
d'enfants» par le reste de la francophonie, qui, lui, consent de bonne grâce
à se sustenter plus frugalement de muffins)…
…
il se trouve, disais-je donc,
que des messieurs-dames tout à fait déconnectés de la réalité langagière
(celle de la rue, dans le cas qui nous occupe) voudraient que nous
utilisassions des expressions aussi délirantes que neige
métropolitaine ou bouillie neigeuse pour
parler de cette brune purée que bon nombre d'entre nous ont, depuis belle
lurette, baptisée sloche
ou slotche, s'inspirant
directement, il est vrai, de l'appellation anglaise. D'aucuns, qui estiment sans doute à juste titre que cette sloche
ne se démarque pas suffisamment de la slush
des Anglais, préfèrent avoir recours au mot joli de gadoue;
leur noble souci de francité les honore, certes, mais ils devraient
pourtant «réaliser» que la gadoue
s'apparente bien davantage à la boue qu'à la neige adultérée qui fait
l'objet du présent billet. Voilà qui est fâcheux, pas vrai? Et
il n'est pas jusqu'au comité de linguistique de Radio-Canada
(merveilleuse bande de passionnés aujourd'hui démantelée, allez savoir
pourquoi… $$$ - quand on «coupe», c'est toujours la langue qui écope
en premier!) qui n'ait tenté, plutôt timidement, précisons-le,
d'implanter ce qui lui apparaissait comme le terme idoine, à savoir celui
de névasse (voir la
fiche no 589-1986 : «mélange de neige fondante, de sel et de
saleté»); je suis désolé d'avoir à doucher le bel enthousiasme de
gens bien intentionnés, mais de toute évidence mal inspirés : si
heureusement formée soit-elle, cette «création» hardie un brin rébarbative
– qui a néanmoins le mérite de rimer avec mélasse (laquelle,
apprenez-le, est synonyme de boue
dans une de ses acceptions) et avec dégueulasse – ne passera jamais la
rampe dans la Belle Province. Je m'explique illico : névasse, ça ne correspond à rien chez nous, ça ne fait
vibrer aucune de nos cordes sensibles[4],
ça se rattache directement à une réalité «d'l'aut'bord», comme on se
plaît à dire même dans nos milieux les moins «tricoloriphobes». En
effet, force nous est de reconnaître que ce mot a une consonance très…
européenne, qu'il doit sans doute à sa filiation plus que putative au
terme de névi, qui signifie «neige» en savoyard. Tout
cela étant bien reçu, n'importe quel loustic ou le dernier des quidams
en quête du mot juste serait on ne peut plus fondé à formuler cette
interrogation fondamentale : « Que dire alors, mes frères? » Quand
je songe aux Inuits qui disposent, eux, d'au moins vingt-deux termes dûment
consignés pour nommer la réalité neige
dans ses multiples apparences, manifestations et textures, cela me rend
plutôt perplexe et, il me faut l'avouer sans ambages, j'ai franchement
honte de la triste vacuité de notre lexique pour ce qui a trait à
l'immonde frasil des rues,
c'est-à-dire notre slush
nationale… Désireux
de suppléer ce manque quasi inexplicable et pour le moins gênant, j'ose
– au risque de me faire lancer de la slush – proposer le terme de… frasoue
(le mot est lâché, enfin!), lequel, pour cucul qu'il puisse paraître au
premier abord, devrait finir par rallier bien des suffrages une fois passé
l'incontournable effet de surprise. Qu'il suffise de préciser que frasoue
(le «s» se prononçant «z» ici) vient, d'une part, de frasil
(glace ayant consistance de bouillie épaisse) et, d'autre part, de boue
et de gadoue (because la couleur et le contenu, on l'aura deviné). Alors,
la frasoue, ça vous botte?
Ne croyez-vous pas que de nier à ce mot presque musical son droit de cité
dans le lexique de l'hiver (tel que nous le subissons) équivaudrait somme
toute à vouloir gommer un élément du «vécu» profondément ressenti
d'un peuple condamné à se geler les pieds aux coins des rues? La
bien-nommée frasoue ne mérite-t-elle
pas d'appartenir à jamais à l'univers culturel et linguistique des Québécois
non «floridianisés», et cela, n'en déplaise aux partisans de la ligne
extradure en matière de création terminologique, n'en déplaise aux
puristes à tout crin qui ne voient guère plus loin que le bout de leur
plume ébréchée, n'en déplaise à la sacro-sainte ligue des «pépères-la-virgule»
qui se posent en cerbères de la langue, n'en déplaise non plus à tous
les Dagenais, Béguin, Beaudry et autres «rigoristes[5]» de la même eau – doctes gens hélas viscéralement
réfractaires, on ne le sait que trop, à tout néologisme «enfanté»
hors Hexagone –, n'en déplaise, enfin, à quiconque n'a jamais eu
l'heur, ou plutôt le malheur de marcher dedans, «notre» frasoue?…
Comme
nous voilà loin du sable chaud et invitant des plages du Sud! Chacun sa réalité,
après tout… Néanmoins, pareil constat ne saurait en aucune façon nous
dégager de cette insigne responsabilité qui nous échoit à tous de
veiller à redonner un visage français à la nôtre de réalité, si peu
reluisante celle-ci soit-elle, surtout quand frappe la «févrite[6]»
et que, du coup, se confirme dans les esprits les plus chagrins
l'apparente pérennité des sorbets
gris[7]! L'«écrivant»
aux pieds trempes, Jean-Paul
Lanouette, traducteur agréé (OTTIAQ – no 892) À PART : Il est à noter que dans le cas de la friandise glacée qui, l'été venu, vous insensibilise le «gargoton» en moins de deux, slush pourrait, d'après de zélés «francisants» qui n'en sont pas à une extension de sens près, se traduire avantageusement par barbotine. Peut-être cela mériterait-il de faire l'objet d'une autre intervention de ma part… Rassurez-vous, ce n'est ni une menace ni une promesse, seulement une intention mal voilée. [1] L'olifant est à proprement parler un cor d'ivoire, donc un instrument à vent. Béni soit qui mal y pense! [2] Depuis peu, l'Office s'est enrichi de l'épithète «québécois». En effet, il faut désormais parler de l'Office québécois de la langue française (OQLF). [3]
«ARRÊT/STOP»… Intéressante saga que celle-là! Pour l'instant,
je me contenterai de préciser que dans ce dossier, l'Office de la
langue française n'est coupable que d'avoir couardement laissé le
politique prendre le pas sur la logique; alors qu'il eût dû lutter
avec l'énergie du désespoir pour empêcher que ne triomphât une
puissante aberration, ledit
Office, pour ne pas dire le
maudit, s'est rangé sans coup férir à l'argumentaire spécieux
et verbeux – «téteusement» populiste et ridiculement corcardier
par surcroît – de quelques décideurs «québécisants» aussi
enragés qu'obtus. J'y reviendrai, si possible dans un autre article,
car c'est un gros abcès à vider! [4]
Qui donc parmi nous n'a point entendu parler des «Trente-six Cordes
sensibles des Québécois»? Ce n'est nul autre que le sieur Jacques
Bouchard, publicitaire bien connu et cofondateur de l'agence BCP, qui
les a indécemment mises au jour, patiemment colligées et savamment répertoriées,
puis non moins brillamment exploitées. C'est
en effet de main de maître que ce champion toutes catégories du «punch
verbal» nous a ciselé force slogans, tous plus percutants et aussi
accrocheurs les uns que les autres. Le
croiriez-vous? quelque trente ans après avoir été «pondus», ces
leitmotivs racoleurs, bien que marqués au coin de la simplicité et
bassement primaires en apparence, continuent de nous titiller la mémoire collective. Souvenez-vous
seulement : «La 50, y'a rien qui la batte!», «Lui, y connaît ça!»,
«L'étiquette, Olivier!», etc. Ça ne volait peut-être pas très
haut intellectuellement parlant, but
it stayed "on the air" for quite a long time, n'est-ce
pas? [5] Heureusement pour tout le monde… et pour la santé de la langue, n'appartiennent pas à cette race dinosaurienne le très sympathique Guy Bertrand, affectueusement surnommé l'ayatollah de Radio-Canada, et Paul Roux, gourou linguistique «œuvrant» à La Presse. [6] La «févrite», c'est cet état d'écœurement total à l'égard de l'hiver et de la grisaille d'icelui, oui! une sorte d'«écœurite» aiguë qui, comme son nom l'indique, se manifeste ou culmine en février. [7]
Certains Haïtiens de mes amis, «hivérisés» jusqu'au trognon (lire
: naturalisés Canadiens), ont inscrit au menu de cette froide saison
qui leur restera toujours
nouvelle un dessert fort peu appétissant hélas inévitable : le sorbet
gris. Eh oui! du sorbet
gris…, vous savez, ces restants de bancs
de neige hideux à la «couenne» si dure qui «déguisent»
parterres et fonds de cours, vous savez, ces vielles congères
rabougries au squelette de glace noire qui narguent le printemps
jusque fin avril! Applaudissons
donc sans réserve à ce louable effort d'intégration d'une tranche
de vie cyclique – l'hiver québécois – qui n'a rien de rose,
surtout aux yeux et aux tripes de gens venus d'une île inondée de
lumière et de chaleur à longueur d'année grâce aux bons offices de
Galarneau, l'astre diurne,
que je salue au passage… vendredi 06 décembre 2002
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