« En passant... »

Conte de Noël pour adultes où il s'en passe de belles, ou plutôt un beau – il s'agit d'une traduction on ne peut plus libre d'un texte anonyme pondu originellement dans la langue de Shakespeare; ç'a donné la version considérablement enrichie que voici… 

Un ange est passé 

ou 

Naissance douloureuse d'une tradition… 

            Une veille de Noël, il y a de cela peut-être bien longtemps, le père Noël se préparait en vue de sa tournée planétaire annuelle. Mais, problèmes et emmerdements de toutes sortes se succédaient à un rythme démentiel, semblant sourdre de partout comme de nulle part… 

            Imaginez : quatre de ses lutins étaient tombés malades en même temps, et les apprentis lutins venus les remplacer au pied levé n'arrivaient pas à fabriquer les jouets aussi rapidement que les petits artisans attitrés; aussi le père Noël commençait-il à ressentir la pression que cela pouvait représenter pour quelqu'un comme lui que d'être en retard un jour pareil. Comme si cela ne suffisait pas, sa tendre moitié, la mère Noël, l'avisa que belle-maman soi-même s'en venait… : rien pour détendre le gros nerf du bonhomme, déjà passablement à vif, merci!!! 

            Mais, hélas pour lui, ça ne s'arrête point là! Alors qu'il était à atteler ses rennes, il s'aperçut qu'il y en avait trois à la veille de mettre bas, et aussi que deux autres, des mâles, avaient pris la clef des champs (de glace), sans doute partis folâtrer avec cette grande dévergondée de… fée des Étoiles, qui avait un faible pour les beaux gros bucks généreusement «panachés» et vigoureux à souhait! 

            Encore plus de stress à gérer ou à digérer, quoi! 

            Et ça continue : pendant qu'il chargeait le traîneau, un des flancs du séculaire véhicule lâcha, et l'immense poche de jouets se renversa par terre, provoquant un éparpillement monstre de «bebelles» : ça faisait pas mal de stock à ramasser, ça, m'sieu Dubois! 

            Frustré, pour ne pas dire en beau tab…, le père s'en fut se «cri» une tasse de café dans la maison – mais d'abord une p'tite shot de whisky –, pour découvrir avec horreur que les p'tits verrats de lutins avait vidé son «cabinet à boisson» afin d'en cacher l'alcoolisé contenu; bien sûr, ils avaient agi de la sorte dans le noble souci d'empêcher l'obèse au nez rouge de se saouler la gueule avant le grand départ : plus rien à boire que du café… 

            On ne s'étonnera pas d'apprendre que, dans son état de frustration très avancée, le père Noël trouva le moyen de laisser échapper la cafetière… pleine, qui se fracassa en mille miettes : partout qu'il y en avait sur le carrelage frais lavé de la cuisine! T'sé, quand ça va ben… 

            Fallait maintenant passer le balai pour ramasser tout ça, mais le père se retrouva plutôt avec un simple manche dans les mains, des souris ayant bouffé la paille qui constituait l'«extrémité sud» de l'instrument, soit la partie dite «opérante» sans laquelle un balai n'en est plus un. Alors qu'il s'apprêtait à renouer avec la très olympique discipline du lancer du javelot, la sonnette retentit; bloquant net sa «motion» catapultrice, le blanc barbu se dirigea donc résolument vers la porte en faisant – d'une voix de stentor où l'on sentait poindre un léger (?!) courroux – en faisant, dis-je, l'inventaire de tous les objets du culte connus et inconnus : de l'encensoir aux burettes, en passant par l'ostensoir, il n'en oublia aucun.  Y'a pas à dire, le vieux savait sacrer… Au bout de sa liste… et de son souffle, il arriva à la porte, qu'il ouvrit brusquement : il y avait là un petit ange joufflu avec un immense arbre de Noël déjà tout décoré (ou presque…)

            D'un ton guilleret, le bipède ailé roucoula : « Joyeux Noël, cher père du même nom! Non mais, y fait-y beau rien qu'un peu? Le fond de l'air est pas trop frais… pour un 24 décembre en plein pôle Nord…, me semb' entéka… Hey! en remontant, j'ai même pas eu besoin de prévoir un pit stop à l'église de Saint-Joseph-de-Sorel pour me faire dégivrer les ailes par Robert "Bob" Bibeau, le bedeau bedonnant qui vous sert de doublure au centre commercial d'la place!… Ouais! pas "frette" pantoute[1]! N'empêche que je ne refuserais pas une tasse de ce bon café chaud dont la riche odeur embaume votre noble demeure… » 

Tout pétulant et d'une bonne humeur insolente, notre ami la merveille volante poursuivit sur sa périlleuse lancée, inconscient du danger : « Comme le disent si bien les simples humains, ces pauvres mortels, y'a de quoi "être aux anges", le père! C'tu l'fun en monde quand toutt' va ben d'même?! Oh! avant d'oublier ou d'passer à un aut' sujet : là, derrière moi, visez un peu le magnifique sapin all-dressed que je vous rapporte en direct d'"en bas"! Y'é vraiment queq'chose, vous trouvez pas? Dites-moi, où voulez-vous que je le mette? Oh! Oh! Oh!…  

« Mais…mais… dites donc : qu'est-ce que vous faites là, grand fou… ouh! ouh!! ouh!!! »

            C'est ainsi que, dans les grandes douleurs, fut enfantée – ou plutôt «mise haut» – la belle tradition du petit ange bien installé au faîte de l'«échafaudage décoratif» qui trône dans un coin du salon pendant la période des Fêtes. Eh oui! dans un mouvement de colère pas très sainte, le père Noël venait de réinventer sans le vouloir l'art de «la cerise sur le sundae»… en nous donnant un ange solidement emmanché tout au haut de l'arbre de Noël, cet orgueilleux conifère à boules.  

Si vous le voulez bien, laissons-nous pénétrer de la profondeur de cette charmante allégorie toute croquignolette, laquelle a vraisemblablement inspiré la création d'une expression populaire bien de chez nous, aujourd'hui largement répandue et utilisée, pis pas juste dans le temps des Fêtes, oh que non! mais à longueur d'année. En effet, qui parmi nous peut honnêtement se vanter de ne s'être jamais fait… «passer un sapin»? Ce dernier «traitement», notons-le au passage, n'est certes plus réservé aux anges… 

            Joyeux Noël à toutes et à tous! En passant, si vous avez pitié du pauv' p'tit ange, que ne vous contenteriez-vous pas plutôt d'enfiler chastement une étoile au bout de votre sapin (comme sur la photo)? 

Jean-Paul Lanouette
jplanouette@sympatico.ca 

[1] À la façon caractéristique dont s'exprime cet ange bien particulier, le lecteur aura vite deviné que celui-ci appartient, et depuis un bon moment déjà, à l' «escadrille» chargée d'assurer le «gardiennage» de la population du Québec.

samedi 21 décembre 2002