Une chronique de
 Jocelyn Daneau

vendredi 29 mai 2020

La triste chaise vide à l’école publique québécoise

À lire les médias en cette ère pandémique, on a l’impression que tout un chacun est un grand oublié de l’effort collectif. Malgré tous les milliards qui n’existent pas, à rembourser un jour, et qui se dépensent présentement avec la carte de crédit de la Banque du Canada, on dirait que nous sommes tous des oubliées de la pandémie. Par exemple, moi-même, un homme blanc instruit retraité et bien enrobé, pourquoi n’ai-je pas droit à l’un des nombreux et généreux programmes d’envoi des chèques de Justin?

Ainsi, je lisais dans La Presse Plus, l’intéressant témoignage d’Élizabeth Quevillon, 15 ans, qui concluait notamment en se qualifiant elle aussi, d’être une oubliée de la crise : « Avoir 16 ans, tu ne peux pas reporter ça. » Hey bien ma chère Élizabeth, je compatis avec toi. Surtout, je te dirais qu’à l’inverse, j’ai 61 ans, tu ne peux pas aussi, reporter ça. Pour nous les « Baby Boomers » gâtés du siècle précédent, il reste pas mal moins d’années qu’il en restait. Alors, on ne veut pas les gaspiller.

Mais je suis sensible à ta cause, Élizabeth, n’ai-je pas publié une chronique le 1er avril 2020 intitulée : « COVID-19 et confinement, avons-nous oublié nos ados? ». Si de mon humble perchoir, j’ai alors pu percevoir qu’il n’y avait rien pour vous, je persiste à croire que si plusieurs ont pu voir votre situation, il y a eu peu d’action vous concernant, pour vous qui n’êtes finalement que l’avenir de la nation. Ceux et celles qui nous soigneront dans 10, 15 ou 20 ans. Avons-nous trop mis de ressources dans le passé de la nation au détriment de son avenir? La question peut paraître ignoble; chacun jugera.

Promenade pandémique

C’est en prenant ma marche où j’ai croisé 2 ados en « skateboard » en pleine après-midi de ce milieu de semaine, que j’ai eu l’idée de cette chronique. Non pas qu’ils me semblaient comme des âmes errantes ou que je ne n’aime pas la planche à roulettes comme on l’appelait dans le temps. Je me suis simplement dit en pensant à ces milliers d’ados québécois oisifs : « Quel gâchis »; ce n’est pas péjoratif ni paternaliste de l’écrire. Là, ce que l’adulte vient de dire aux ados québécois, qui seront un jour parent à leur tour, c’est : « Tsé veut dire, l’école, kosse ça donne? Va douhors. Le skate, c’est la liberté et l’école de la vie ».

On répète souvent comme un cliché que l’école, surtout au secondaire, est l’un des moments parmi les plus intéressants et importants de notre vie; une époque charnière. Cela a été le cas pour moi, qui pensait que Tracy était le centre de l’Univers autour duquel tout tournait; et que la 30 qui arrêtait au Chemin du Golf à l’époque, menait simplement au néant en nous entraînant dans une chute vertigineuse comme si la Terre-Tracy était plate. 

Les psychologues, pédagogues et autres logues le confirmeraient, l’école, c’est plus qu’une formation générale, c’est aussi là où se forge le système de valeurs du jeune adulte en devenir. Dans le grand ratage pandémique 2020 de l’école secondaire publique québécoise, une majorité de jeunes adolescents québécois viennent donc d’apprendre qu’il n’est pas important de finir la « job ». Pourtant, en milieu professionnel, c’est une qualité essentielle de finir ses dossiers, de clore un projet selon les règles de l’art ou que la procrastination est souvent coûteuse. Dans le milieu professionnel ou pour terminer des études universitaires, il faut avoir du souffle. Mais l’État vient de faire savoir aux adolescents québécois qu’on peut arrêter le marathon avant la fin, médaille incluse accrochée au cou. C’est indécent. 

Ces jeunes viennent d’apprendre qu’il n’est pas nécessaire de faire d’effort et que le résultat sera toujours là. Ils passeront à l’étape suivante, gratos, et pour ceux en secondaire V, sans le stress des examens de fin d’année. Ne l’oublions pas, ce stress a surtout des vertus d’apprentissage en vue d’affronter les aléas de la vie professionnelle. Parce que ne nous trompons pas, celle-ci ne fait  pas dans la dentelle et te renvoi presque toujours à ta valeur réelle. 

Ce message que l’école, ce n’est pas important est d’autant plus désolant quand on sait que le Bulletin des écoles secondaires du Québec 2019 de l’Institut Fraser place l’École secondaire Fernand-Lefebvre en termes de performance académique en 434place sur 463 écoles au Québec. Je sais, plus on sous performe, plus on trouve toujours toutes sortes de défauts à ce genre de classement, surtout à la Commission scolaire de Sorel-Tracy dont c'est une spécialité. Il y a donc ici, réel danger de décrochage scolaire quand on sait qu’il est de 22 à 23 % pour les garçons et de 12 à 13 % pour les filles. Si tel est le cas, imaginez ce que sont ces pourcentages dans la région de Saurel.

S’il y a un mot qui me revient toujours à la mémoire de mes années de secondaire à Bernard-Gariépy, c’est « rigueur ». À ma grande honte cependant, je n’en ai pas saisi le sens immédiatement. Cela m’est venu des années plus tard, au début de ma carrière professionnelle quand j’ai compris que la rigueur était plus qu’un gage de succès, mais un tremplin pour augmenter ma crédibilité. Cette rigueur, du moins son éveil à ma conscience, je la dois à M. Richard Joly, alors professeur de mathématique en secondaire 3 et 4. Je le remercie, sans oublier tous ces autres professeurs qui ont façonné mon parcours académique. Je suis convaincu que la rigueur est encore enseignée aujourd’hui. Mais la concernant, quel est le message que l’État envoie aujourd’hui à nos adolescents quand elle tire la « ploye » subitement, sans offrir de solution alternative probante, un adjectif à la mode dans le monde de l’Éducation.

Apprendre, c’est forcer et c’est en forçant que l’on forge le caractère. C’est forçant dans l’instant et dans la durée d’acquérir des connaissances, surtout si comme pour la majorité des adolescents et des gens en général, vous n’êtes pas un surdoué. Apprendre demande donc de la discipline et de l’abnégation sur une longue période. Mettre fin à l’école secondaire surtout publique, dans les conditions que l’on connaît, était la pire des choses à faire et l’État l’a fait. C’est d’une totale désolation.

Certes, pour l’ensemble de cette œuvre catastrophique, il y a aussi de belles histoires pédagogiques comme « L'école du garage de Monsieur David » sans oublier ces milliers de professeurs de partout au Québec qui se demande comment faire pour « vaincre le système » et aider nos ados. Comme le disait le célèbre Edward Deming, spécialiste de la gestion de la qualité (de mémoire) : « Ne jetez jamais le blâme sur les employés, regardez toujours du côté des patrons et des décideurs ».

L’École doit servir à inculquer des valeurs de responsabilisation à nos enfants. Elle doit aussi enseigner la nature du concept d’obligation, envers soi-même et les autres. Abandonner en cours de route certains ados comme vient de le faire l’État et son monstre bureaucratique de ministère de l’Éducation est une très mauvaise leçon de vie. Elle indique simplement que l’on peut laisser tomber à tout moment et que ce n’est pas réellement grave. Surtout, l’école publique québécoise indique que comme lieu de formation générale de l’individu et de construction de la personnalité, elle n’est pas un joueur de premier plan. L’État québécois n’était pas là, dans l’adversité, au moment le plus important de la vie de nos adolescents.

En terminant, laissons le mot de la fin au journaliste américain Sydney J. Harris (1917-1986) : « Le but de l’éducation est de transformer les miroirs en fenêtres. »

Jocelyn Daneau, isolé dont la vie est un éternel apprentissage, jocelyndaneau@gmail.com

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