Noël avec mon
père
Dans la vie, il y
a les « petites »
surprises comme la rencontre
fortuite d’un compagnon d’école
duquel on se dit : « Il a
vieilli en … ». Sans
comprendre qu’on a suivi le même
chemin. Il y a aussi les grandes
surprises. Celles qui vous
scient les jambes pendant des
jours et qui vous influencent
pour le reste de votre vie.
C’est de l’une de celles-ci dont
je veux vous parler. Moment
d’intimité certes, mais qui
marque pour moi une profonde
rupture entre aujourd’hui et
demain.
Pourquoi vais-je
vous raconter tout ça? Pour me
faire plaisir. Pour vous dire
que j’ai eu récemment, le plus
beau des cadeaux de Noël. Parce
que je peux enfin dire, contre
toute attente : « Maintenant,
je suis presque comme tout le
monde ». Parce que c’est
Noël et que c’est le temps de se
faire plaisir. Surtout après les
événements horribles du
Connecticut et pendant que
meurent dans l’indifférence, des
enfants en Syrie, en Palestine,
en Haïti, en Afrique et
ailleurs.
Le 30 juin
dernier marquait le
50ième anniversaire
du décès de mon père, mort
sur la 132 entre Yamaska et
Pierreville, à la hauteur des « flasheurs ».
Un bête accident d’automobile à
la suite d’un dépassement risqué
par l’un des deux individus qui
coursaient, en sens inverse.
Vous comprendrez
que je n’ai jamais connu mon
père. Il était pour moi et ma
sœur, un être inconnu vivant
statiquement sur quelques
photos, que la tradition orale
fait de moins en moins vivre,
mais en l’embellissant chaque
fois de plus en plus. C’est la
vie. Les premières années de ma
vie, j’ai vécu le fait de ne pas
avoir de père comme une
normalité. Une barrière que les
Guy Corneau de ce monde
expliqueraient facilement.
J’ai fait mon
deuil à 35 ans en allant
brailler comme un veau sur sa
tombe. C’est arrivé comme ça,
sans avertissement, sans raison,
comme un besoin sans cause.
Depuis, il me manque chaque
jour. Avant 35 ans comme
plusieurs, je n’avais que des
réponses. Et quelques fois, des
réponses à des questions que je
ne maîtrisais même pas. Depuis,
j’ai de plus en plus de
questions et de moins en moins
de certitudes, mais il n’est pas
là.
Bref, 50 ans, ça
se fête. On fait chanter une
messe à l’église St-Pierre.
Ensuite on se dirige vers le
cimetière de St-Joseph. On sort
le « cooler » et on prend
un verre à la santé de tous, les
morts comme les vivants. Surtout
que mes grands-parents maternels
et quelques parents sont
justement voisins. Ma mère
capotait, boire du vin dans un
cimetière pour l’apéro.
Est-ce la fin de
l’histoire? Non!
Au mois d’août
dernier, on découvre dans le
sous-sol d’une de mes cousines,
une série de bobines de film
muet que l’on fait transférer
sur DVD. Il est apparu là, Noël
1961, son dernier, aussi
subitement qu’il était parti,
sans avertissement, l’homme que
je n’avais jamais vu bouger.
C’est le plus gros "motton"
que je n’ai jamais avalé.
En une fraction
de seconde, mon père venait de
passer de Dieu mort à Homme
vivant. Vous dire que je repasse
en boucle depuis ce temps, ces
quelques secondes de film est un
euphémisme. Je me suis même
transformé en psychologue de
l’au-delà, à faire ce que les
ingénieurs industriels
appellent, de l’étude du temps
et des mouvements y incluant les
mimiques.
À ce sujet, une
des découvertes fascinantes de
ces bouts de film, c’est qu’un
de me neveux lui ressemble dans
les gestes du quotidien. Mais il
y a encore plus fascinant, en
examinant mon fils de 31 ans et
mon père parti à 32 ans, je me
suis retrouvé à 53 ans à être
comme le « père » de mon
père. Une drôle de sensation.
Je savais que mon
père avait un côté espiègle et
il s’est montré fidèle à sa
réputation. Nous lui avions
organisé une fête. Mais le
cadeau, c’est lui qui nous l’a
envoyé sous la forme de ces
bouts de film. On dirait qu’il
avait planifié son coup, choisi
son moment et attendu
patiemment. Il doit sûrement
rire à gorge déployée c.-à-d. la
« gueule fendue aux oreilles. »
Maintenant, quand je lui rends
visite pour placoter, sa pierre
tombale me renvoie un écho qui
se transforme dans ma tête, en
images vivantes. Un jour, dans
l’ordre naturel des choses, je
le retrouverai.
En attendant, je
passerai Noël 2012 avec mon
père.
Je profite donc
de cette fin d’année pour
souhaiter à tous, une très
Bonne Année 2013. Je
souhaite surtout à chacun, la
santé. C’est le bien le plus
précieux.
Jocelyn Daneau
jocelyndaneau@gmail.com |