Le bonheur est dans le prix!
Histoire de bière à vous faire perdre contenance et… continence

Pas facile d'avouer ses «faiblesses», mais faut c'qu'y faut! À mon retour du bureau, après une longue journée passée à clavioter devant mon écran d'ordinateur, j'aime bien en décapsuler une p'tite – et très souvent deux –, à déguster en feuilletant mon journal favori. Je le confesse, une couple de bonnes bières froides, non seulement ça me relaxe le squelette et m'assouplit la carcasse aux entournures, mais encore – et surtout – ça me «déstresse» le mental… sans me faire tourner la tête pour autant (question peut-être de «pratique», d'accoutumance ou, comme on dit dans les milieux scientifiques, de tolérance).

Heureusement qu'il y a le monde médical pour me donner bonne conscience ou, à tout le moins, m'empêcher de culpabiliser outre mesure par rapport à cette habitude «désaltérante» que j'ai contractée il y a de cela bien des années! En effet, la confrérie des disciples d'Esculape (c.-à-d. le sacro-saint Collège des médecins) atteste qu'une consommation raisonnable d'alcool, loin d'être nocive et répréhensible, a des effets bénéfiques sur l'organisme du buveur.

N'est-il pas de notoriété publique que, dans le cas de la bière, la consommation «santé» quotidienne s'établit et se limite à deux bouteilles de format courant (2 x 341 ml)?

Or, à l'occasion, il m'arrivait d'acheter une canette de 750 ml, soit un peu plus que l'équivalent des deux bouteilles «recommandées»[1], et je ne m'en portais pas plus mal après coup, ni mieux à la vérité. Mais pourquoi donc dire «il m'arrivait» plutôt que «il m'arrive»? Laissez-moi vous raconter…

Début juin, alors que je m'apprête à payer ma canette de blond liquide, le gérant du dépanneur m'avise que, après épuisement de son stock de 750, je devrai me rabattre sur la canette de 950 ml pour étancher comme il se doit ma soif légitime.

Décision collective des gros brasseurs, m'informe-t-il – raison officielle : rétrécir le trop large éventail des contenants proposés au consommateur; raison officieuse et inavouable, mais que je devine et que me confirmera d'ailleurs un peu plus tard un camionneur-livreur «basé» rue Notre-Dame Est, à Montréal… pratiquement sous le pont Jacques-Cartier : amener le client à boire davantage!

Il ne faudra pas s'étonner que les commis de dépanneur nous aiguillent sur la contenance supérieure, et non point sur la canette dite «régulière» (355 malheureux ml – « On ne va pas "pisser" bien loin avec ça! » ne manqueront pas de déplorer les plus vulgaires)…

Les brasseries connaissent leur monde : elles savent pertinemment que les uns, du côté payant de leur comptoir, ne demandent pas mieux que de vendre «plus gros», et que les autres, eux, se résoudront certes plus facilement à boire plus que moins. Et mon patron de dépanneur, grand commerçant dans l'âme, de se mettre aussitôt en frais de me démontrer, calculette à la main, que, tout bien compté, mesuré et pesé, je devrais me réjouir, le millilitre de bière me revenant en effet moins cher[2].

Big deal! Je sors du dépanneur, et je n'y pense déjà plus…

La semaine d'après, je vais pour quérir une 750 dans le frigo du dépanneur. Oups! il n'y en a plus! J'avais oublié que… Presque machinalement, je m'empare alors de cette 950 dont on m'a vanté le millilitre économique, tout disposé à m'embarquer comme un vrai homme dans une habitude de consommation revue à la hausse.

Le problème, c'est qu'après avoir éclusé le contenu intégral de la canette en question, «nouvelle venue» sur ma table de salle à manger, je me retrouve, ma foi, un brin pompette : ah! ce que 200 millilitres de plus peuvent faire, fussent-ils meilleur marché!

Un peu rond, mais toujours opérationnel côté cerveau, je me dis : « Bof! encore quelques jours à carburer à ce régime "enrichi", et je ne sentirai plus la différence… »

Eh bien! voilà! Le hic, il est là : on s'habitue vite à boire plus.

La canette qu'on ouvre est une canette qu'on est «forcé» de finir. Ça, Molson, Labatt et consorts le savent mieux que personne!

Paraphrasant la célèbre invitation faite aux joueurs de Monopoly ("Pass Go and collect $200!"), les gros brasseurs, «généreux» comme ça se peut pas, nous disent littéralement : « Passez à plus gros, et collez-vous-en 200 ml de plus! » Qui pis est, ils aspirent à nous faire gober que le bonheur est dans le… prix! (Tant les cinéphiles avertis que les fervents amateurs de films français le savent : pour certains, c'est plutôt dans le pré, qu'il se trouve, le bonheur.)

Force m’est de reconnaître qu'un seul consommateur sur des millions, ça ne pèse pas lourd dans les statistiques en fonction desquelles les brasseurs élaborent leurs savantes stratégies, mais qu’importe, pour moi, ça y est! la mesure est comble!

Je ne veux pas m'habituer à ingurgiter une plus grande quantité de cervoise en une seule séance de lecture, être toujours prêt à passer à un volume supérieur, à me plier servilement – inconsciemment presque – aux caprices des rois du houblon : simple question de respect de moi-même.

Je refuse de cautionner la logique épicière selon laquelle, financièrement parlant, je suis «regagnant» avec la 950 (c'est presque un litre, ça, messieurs-dames!). J’oppose donc une fin de non-recevoir à ce cadeau empoisonné.

Tenez, dès le lendemain de mon «étourdissante» première rencontre  avec la fameuse Gigacanette, celle-là même qui a mis d'la brume dans mes lunettes, je suis ressorti du dépanneur avec une petite blonde.

On aura bien sûr compris – et surtout ma femme, j’espère – qu’il est toujours question de bière, en l’occurrence une bière de micro-brasserie, oui, une seule! en bouteille de dimension normale… et quasiment «légère» à part ça, en vertu de ses plutôt modestes 4,5 % d’alcool par volume!

Or, je compte bien m'en tenir à cette consommation journalière qui, pourtant, se situe bien en deçà de la dose «hygiéno-thérapeutique» dont il est fait état plus haut, une consommation réduite qui, entre autres mérites, me permettra d’économiser POUR DE VRAI!

C'est là ma façon à moi, toute «donquichottienne», de faire un pied de nez à l’armée de grands magiciens du marketing et autres marchands du Temple qui s'ingénient à nous transformer en vulgaires boit-sans-soif à la merci de décisions prises en dehors d’eux.

En passant, dites donc : ça ne vous fait pas penser à Loto-Québec, qui multiplie les «gratteux»… même si ça ne nous pique pas?

 À la bonne vôtre!

                                                                                    Jean-Paul Lanouette

[1] Dose recommandée, oui! et, dans mon cas, presque salutaire!

[2] Une canette de 750 ml à 3,98 $ (consigne et taxes incluses) => 53/100 de ¢ le millilitre, alors qu'une canette de 950 ml à 4,67 $ => 49/100 de ¢ le millilitre. C.Q.F.D. Wow! un gars serait fou de se priver!