De TVA -TQS à La Presse

Éloge de la médiocrité

Le sommeil, prodrome du cauchemar

Nous avons atteint le sommet du fond.

Depuis quelques années, TQS détenait sans partage la palme québécoise de la médiocrité télévisuelle. L'entreprise a même tenté de noyer le poisson en confondant sans vergogne fond de baril et l’honorable délinquance propre à la personnalité du «mouton noir». Or il faut savoir qu'il y a désormais un autre candidat en lice, et qui lui chauffe sérieusement les arrières. J'ai nommé TVA.

Soyons explicites quant à ces deux réseaux.

Une qualité de langue extrêmement faible, qui atteint parfois au pitoyable. Et ce jusque dans les bulletins d'information. À presque faire rougir un jeune décrocheur qui a abandonné le Secondaire en milieu de parcours. Aussi, dans les familles soucieuses d'une maîtrise correcte de l'instrument de la pensée, en est-on pour ce motif à interdire ces chaînes aux enfants comme on proscrit, de manière analogue, la pornographie ou la violence sans bornes.

Une programmation désespérément commerciale. Babillage sans véritable teneur, dont l’épouvante et le divertissement niveau zéro (dictature du comique moins distrayante que risible, compte tenu des lourdes carences du produit offert) constituent les deux mamelles nourricières. Au surplus, le tiers du temps d'antenne (et j'exclus ici les émissions proprement publicitaires, depuis la tyrannie du «Régime minceur» jusqu’aux “simplicités” de «Jojo Savard») est consacré aux réclames en tant que telles. On approche le ratio de trois minutes de pub pour six minutes de diffusion «à contenus». Ahurissant. Ahurissant. Trois fois ahurissant. En ces conditions, une production qui d’emblée reçoit la faveur d’un segment de l’auditoire se voit tout de même rejetée par répulsion naturelle à  l’égard de cette surdose d’“annonces” (incidemment, ce m’est arrivé plus d’une fois d’ignorer un film – car très exceptionnellement il y en a un de temps à autre qui n’est pas, disons, de cote «6» –, sachant au départ que cette publicité plus qu’excessive me repousserait de l’écran dans les dix minutes).

Un pareil mépris des téléspectateurs dépasse toute décence et tout entendement. C’est à rebuter l'auditeur le plus complaisant, le plus amorphe et le moins pourvu d'esprit critique qui soit. Hélas, it’s more than true: «The Medium is the Message». Or le phénomène est d’autant plus étonnant que les télédiffuseurs ne semblent visiblement pas saisir que de cette manière ils se tirent eux-mêmes dans le pied. En “récusant” la ressource ultime de leur chiffre d’affaires, à savoir l’auditeur comme «matière première» de l’audimat à l’origine des contrats de publicité, ils immolent leurs poules aux oeufs d’or de leurs propres mains. Antienne à méditer: L’appât démesuré du gain se retourne contre soi.

– Il existe environ deux cents pays sur la Planète, et nous y parlons plus de cinq mille langues. Les cultures y sont multiples et plus nombreuses encore. Or à TQS et à TVA, il semble qu'il n'y ait qu'une seule culture au sein de l'humanité (et ce n’est pas même la nôtre): l'anglo-étatsunienne. Point/Period. Téléséries, téléromans (soaps), films, reportages... la totalité, mais vraiment la totalité de la programmation télévisuelle (à quelques rares exceptions près) est la résultante d'achats de productions strictement américaines. Les conceptions québécoises – pourtant de qualité souvent internationale, voire de véritables modèles tout à la fois de finesse, d'intelligence et de sensibilité – n’échappent pas à ce type de politique à courte vue. Elles y font en effet figures d'enfants pauvres et déchus (singulièrement chez Quatre-Saisons). Interdite, la qualité québécoise au sein de TVA/TQS? Tout à fait! Mais ce n’est là au fond qu’une demi-vérité. «Qualité interdite». Voilà ce qu’il faut dire. Tout simplement. Tout bêtement.

– ...puisque (car il est vrai d’autre part que tout n'est pas médiocre au pays de l'Oncle Sam) nos deux ‘canaux’ locaux se font un point d'honneur de retenir les “créations” les plus ineptes, les plus insipides et d'abord les plus violentes disponibles sur le marché. De telle sorte que dix-neuf fois sur vingt, on tombe ou bien sur un sitcom insignifiant (où le conformisme de mode du moment dispute au stéréotype des dialogues et des comportements), ou bien sur un film où les armes à feu se comptent à la douzaine, les projectiles à la centaine et le sang au gallon (US capacity for our convenience). Toujours le même scénario. Toujours les mêmes images. Toujours les mêmes détonations, les mêmes explosions, les mêmes effets spécieux. Toujours le même vacarme de l'agression et de la destruction dans la terreur. Bref, toujours les mêmes valeurs éculées véhiculées: la violence danse en continu sur le rythme infernal de la constante platitude. Jusqu'au contenu des réclames qui ne s'y soustraient plus, comme si la furie de l’extermination universelle était devenue la valeur absolue, suprême, de notre société («God is an American», écrivait le Ferland des grandes années).

Sommes-nous une nation de déficients intellectuels ou de psychopathes en mal d’anéantissement pour en arriver ainsi à nous repaître sans retenue de ce pain-là...?

On se demandera ensuite comment il se fait que dans nos villages les plus reculés des enfants puissent parvenir à tuer ou à se tuer eux-mêmes (de sang froid comme des criminels endurcis) ou, plus prosaïquement, que l'universitaire type en métropole ou en capitale soit toujours un analphabète fonctionnel au sortir de l'Institution qui l'a formé (???) à grands frais pour le Trésor public. Mais ne nous égarons pas dans les grands débats de société: pour le moment, j'en ai bien suffisamment sur les bras avec TQS et TVA.

Certes, depuis quelques années la télévision québécoise s'est «médiocrisée» de manière générale. Radio-Canada ressemble trop souvent à une antenne d'État au sens soviétique du terme, alors qu'on a parfois la nette impression que l'animateur est un clone de Stéphane Dion, et la réalisatrice celui de Sheila Copps. Qui du reste n'a pas eu déjà son indigestion d'unifoliés? Et c'est en effet imbuvable, et surtout parfaitement indigne d'une authentique démocratie (mais qui sait, peut-être recueillons-«nous» de la sorte les “dividendes” des rencontres de M. Pierre Elliott Trudeau avec son grand ami Fidel, pour le dire à la façon de Charlebois). La qualité de la langue s'est aussi puissamment dégradée à Radio-Canada. Il est vrai également que Télé-Québec laisse de plus en plus souvent son écran à des individus qui nous “garochent” une langue française qui n'a plus beaucoup à voir avec celle de la toujours séduisante Anne-Marie Dussault. Reste en dernier ressort que ces deux réseaux publics se sont tout de même refusés, hors tout et à ce jour, à sombrer dans le n'importe quoi où baignent sans scrupules ou états d'âmes les deux stations de... Quebecor. À telle enseigne d’ailleurs, compte tenu de ses budgets ridicules en regard de ceux de ses concurrentes, que Télé-Québec se révèle à mon sens la chaîne la plus “honnête” du pays (Ah! ces films sans publicités, triés sur le volet avec goût, élégance et cueillis aux quatre coins du monde – dont bien sûr les françoises Europe et Québécie).

Hélas! Il fallait bien y venir. À Quebecor. Car il n'est pas indifférent, ni sans doute pur hasard, si l'expression la plus lamentable de notre télévision se conçoit dans les officines de cette transnationale qui n'a plus de québécois que le nom (et encore! non sans avoir éradiqué les accents aigus de sa raison sociale ainsi bien émasculée de ses origines). TVA/TQS, c'est non seulement de la télévision étatsunienne, et cela seulement. C'est aussi, on me permettra l'anglicisme de circonstance, la télévision la plus cheap que nous nous autorisons à inoculer dans l'esprit (ainsi se décervelant) de la collectivité québécoise (mais nom de nom à la fin! Y aurait-il perpétuellement de précieux fonds fédéraux occultes, en tout temps disponibles pour aliénation active de feue la Société distincte?).

Le citoyen en moi, croyez m'en, souffre de vilipender ainsi une industrie dont il n'était pas peu fier il y a peu encore. Or de quelle fierté pourrions-nous nous targuer à son sujet désormais, à titre de Québécois, alors qu'il s'agit d'une boîte qui semble n'avoir que l'appétit du gain; et ce sans autres considérations, ni de culture ni de qualité notamment. Une entreprise de type américain comme il y en a tant d'autres, quoi. Des firmes anonymes qui n'ont qu'une langue: le dollar, et qu'une obsession: le profit matériel. «Est-ce [vraiment] ainsi que les hommes vivent», demanderons-nous à nouveau en invoquant Aragon par le relais des Ferré et des Montand? Comme s'il n'y avait qu'un moule de plomb unique, seule matrice susceptible de tracer la courbe économique de la vie des hommes. Imagination néant!

Il n'y a pas de mal à s'enrichir. Mais ne peut-on s'enrichir qu'en semant la médiocrité à tous vents???

Qu'on ne s'y trompe pas, toutefois. L'autre extrémité du spectre de la mainmise capitalisée sur la presse-média québécoise ne doit pas pour autant échapper à la virulente critique citoyenne. Pour l'heure Power Corporation (et ici, on le sait, le frenchie boss ne s'est pas contenté d'abroger quelque signe diacritique: il a opté d'office et d'emblée pour l'élimination de sa propre langue quant à la dénomination de son [?] propre bien) ne possède pas de chaînes de télévision, ou autres outils comparables. Or si Quebecor fait dans la nullité à grande échelle avec ses stations de télévision, que dire en revanche de l'empire Desmarais qui – du Soleil de Québec au Droit d'Ottawa-Hull, par le détour des cinq autres quotidiens du Québec dont l'obèse Presse de Mount tré all* – produit à non moins grande échelle une propagande pro-fédéraliste de tous les instants? Propagande qu'il distille opiniâtrement, patiemment, insensiblement, sept jours sur sept, l’année durant, sans jamais défaillir, dans l'esprit captif des centaines de milliers de lecteurs de ses messages tantôt subliminaires, tantôt plutôt primaires. À faire saliver tous les Goebbels canadiens...

Le citoyen québécois se voit ainsi saisi en embuscade entre l'abyssale insignifiance de TVA/TQS et le supplice de la goutte d'encre politique de La Presse**, du Soleil et de tous leurs pareils.

Or un peuple nourri aux croustilles, au Coke et à la cigarette de l'esprit, d'une part, solidement entraîné à la peur, à l’autoculpabilisation, au mépris de soi et à l'assujettissement volontaire, d'autre part, sera-t-il jamais capable d’une authentique Liberté et apte à parvenir à hauteur de sa propre Dignité?

Comment le croire, comment l'espérer en effet, alors que les chefs mêmes du pays-pas-encore – dont le premier ministre et le vice-premier ministre en personnes – estiment sans broncher que la concentration de la presse (en l'occurrence cette bicéphale dictature médiatique***) ne constitue pas une réelle menace en sol québécois. À croire qu'ils ont demandé conseil au chef de bande... de l'Opposition officielle.

C'est à s'arracher les cheveux de sur la tête avant de maudire enfin, une bonne fois, le pays rêvé de Ferron, de Félix et de Gaston.

*  *  *

Faute d'intelligence de notre intérêt collectif bien compris, soyons à tout le moins cohérents et méthodiques: à quand la vente du Devoir à Conrad Black, et celle de Télé-Québec à CTV? Après tout, que peut faire un Astérix qui a d'ores et déjà – tantôt pour un Robert Libman, tantôt pour un un ti-gars de Shawinigan ou de Sherbrooke – bradé sa potion magique aux Romains...?

À bâillonner ainsi tout à la fois la bouche, le nez et l’intelligence d'un peuple, permettez-moi de paraphraser le Vigneault de la lucide Lettre à mon premier sous-ministre, on s'prépare assurément une joyeuse tempête.

 

 

* Comptons La Tribune de Sherbrooke, Le Nouvelliste de Trois-Rivières, La Voix de l’Est de Granby et enfin Le Quotidien de Chicoutimi, sans oublier tous les hebdos par -devers l’ensemble du territoire.

** Une illustration  ponctuelle entre mille : «Détournement politique et confusion intellectuelle chez Alain Dubuc»

*** Quebecor (Le Journal de Québec, Le Journal de Montréal) et Power détiennent à eux deux 96,5% du tirage des quotidiens francophones québécois. Le Devoir, vaillant et unique journal indépendant du Québec, s’approprie la pointe restante...

Note  ­. Illustration concrète du phénomène de la dégradation de la langue et de la qualité de la présentation (en l'occurrence à TQS). L'antenne me rebutant pour les raisons énoncées, et plus encore, je ne m'en fais l'auditeur ponctuel que l¹instant d'un «zappage». Ou par erreur... Or même à coups de dix ou vingt secondes d'écoute, il est désespérément aisé de se voir témoin d'enchaînements de bourdes par-dessus bourdes. Ainsi, en l'espace de fort peu de temps en tout début d'année, j'ai pu relever trois topos tristement représentatifs de la constance dans ce qu'il faut bien nommer ici une terrible médiocrité. i) Drame à Charlesbourg. On découvre un enfant entre la vie et la mort sous le fort de neige, effondré, qu'il s'était lui-même construit et aménagé. Or le soi-disant journaliste sur les lieux nous entretient rien moins que... d'une découverte macabre. Scoop de l'année: «Chronique d'une mort annoncée»???* ii) Des malandrins investissent par effraction une propriété privée. Notre Tintin nous informe que ceux-ci ont pénétré les lieux par... la vitre arrière. Non pas par la porte, par une fenêtre, une lucarne ou une ouverture quelconque, mais bien: par la vitre. Or la vitre est un matériau ­ comme la pierre, l'aluminium ou le bois. Elle est à la fenêtre ou au pare-brise ce que le nylon est au bas et le marbre au joli tabouret de style. Prochain bulletin: les malfrats entreront... par la brique??? iii) La présentatrice du même téléjournal nous déclare enfin que, selon certains scientifiques, nous entrerions maintenant bel et bien dans le troisième millénaire. Non mais, Mam'zelle, qu'est-ce que les scientifiques viennent faire en pareille galère? C'est une question de pure arithmétique (l'année un «1» de notre ère est de fait l'année zéro «0»: un nouveau-né n'a pas un <1> an dès sa naissance). Ainsi 2000 fut-elle la dernière et ultime année du XXe siècle, le troisième millénaire débutant (nonobstant les célébrations étalonnant l'Événement 52 semaines trop tôt) à la fin et non au début de l'année aux trois zéro. Il ne s'agit donc pas en l'occasion de faire preuve de réserve à l'égard d'avis scientifiques au sujet desquels le citoyen moyen (tout comme le lecteur de nouvelles, j'en conviens) pourrait difficilement se prononcer de manière éclairée. Il s'agit bien candidement d'une donnée particulière qu'un enfant est en mesure de comprendre et de résoudre...  
   Rappelons en outre que «ces trois grands moments de télévision» nous ont été offerts par le biais de bulletins d'information ­ lieu privilégié entre tous, comme on sait, de l'expression de propos clairs, justes, concis, objectifs et irréprochables aussi bien quant aux faits rapportés qu'à la langue qui en rend compte de professionnelle manière. Hélas! mille fois hélas! TQS à cet égard (et sa siamoise TVA, la SRC étant tout de même moins affligeante) font office de télévisions d'amateurs dignes de joyeuses équipes de cégépiens qui s'amusent à "faire comme les grands". En termes simples et communs, cela s'appelle fabriquer du N'importe quoi. (
* Tiens bon, mon garçon! Et je t¹en prie, ne donne surtout pas ton vital consentement à de pareilles inepties).

Note 2 . Pour le lecteur intéressé à exprimer son opinion sur le sujet, voici quelques propositions de destinataires: (Quebecor) Qi_info@Quebecor.com , (TQS/Quatre-Saisons) Tvpublic@TQS.Qc.ca , (TVA) Relations.auditoire@TVA.ca , (Télé-Québec) Info@TeleQuebec.Qc.ca , (Radio-Canada) Auditoire@Montreal.radio-canada.ca , (CRTC) Info@CRTC.gc.ca

 

Québec, le 3 janvier 2001

Jean-Luc Gouin
Courriel

Une version légèrement remaniée de ce commentaire a été publiée dans l'édition de mars 2001
 de la revue L'Action nationale


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