Liquider pour argent liquide
Violence du commerce, commerce de la violence
Publié dans La Presse (Montréal) du 10 décembre 2000
Ce qui ne tue point rend plus fort
Nietzsche
Ce qui me tue me donne tort
Le soussigné

             Phénomène tout récent dans notre société: l'utilisation de la violence comme instrument de vente. Extraordinaire aberration. Les exemples sont nombreux et exponentiellement croissants.

On connaît tous cette publicité où un banquier se voit défenestré du haut de son prestigieux édifice. On se rappelle aussi de cette femme qui, dans une ambiance de suspens policier, attend fébrilement son ami de coeur... un revolver à la main (le téléspectateur constate à la fin qu'il s'agit d'un pistolet jouet). Hélas! la sympathique Francine Ruel se voit tenue elle aussi, par un lunetier connu et sur le refrain de la télésérie culte Mission impossible, de transformer son sèche-cheveux (mais si! vous avez deviné) en revolver. Une autre dame, armée comme G.I. Jane, affronte une bête immonde dans quelque caverne perdue d’un vague futur. Elle le terrassera assurément:  il faut savoir en effet que la bête hideuse avait mauvaise haleine. Ça ne pardonne pas... Ou encore et encore, cette autre réclame dans laquelle une jeune femme de B.D. (plus séduisante s'il est possible que femme de chair!) décharge son arme sur tout ce qui bouge sur le territoire... d'une télécommande. Enfin, qui n'a pas été «indisposé» par cette judoka qui, au nom d'une compagnie de désodorisants, rosse furieusement les mâles qui soudainement lui pompent l'air (sans exsuder une goutte sous aisselles, comme de bien entendu)?

Rien à faire. En subliminal, ou à peine, l'auditeur a constamment l'impression de se faire agresser. À moins bien sûr qu'il ne s'installe lui-même par procuration dans le rôle de l'agresseur/e, toujours vainqueur/e en vertu d'un scénario princeps unique: «Achète ou je te tue!» Or non suffisant qu'il soit déjà devenu pratiquement impossible d'avoir l'occasion de regarder un film non violent à TVA ou TQS (doublé du cauchemar des “annonces” aux neuf ou dix minutes!), en sommes-nous de surcroît à estimer que seule la violence désormais saura convaincre la «victime» – entendez: con à vaincre – de «dégainer» le fric de son portefeuille???

Imbéciles de pacifistes de tous les pays, me semble-t-il ouïr, comprenez donc à la fin que la violence, eh bien c'est notre meilleur vendeur: «Pissez le sang, coulera l'argent!»

De manière incidente mais certainement pas secondaire, on s'interrogera avec grande perplexité à savoir ce que désirent véhiculer les publicistes par cet amalgame hautement détonant: Femme + violence. On savait que la testostérone ne fait pas toujours bonne sauce avec la matière grise au voisinage du cortex. S'agirait-il maintenant de se venger de la femme, en laissant entendre qu'elle est au fond aussi primaire sinon primate que son traditionnel et millénaire compagnon, hier de dolmen aujourd’hui de lit?

Bref, dans l'univers de la commercialité – directement et sans détour ou par association plus ou moins contournée (y compris dans la cinétique rapide et syncopée, la chromatique vive et provocante, également le choix musical pompier et tonitruant: Cf. cette musique exaspérante, tout à la fois agressive et agressante, qui accompagne une publicité récente de la Honda Civic) – la violence est devenue monnaie presque aussi courante que la publicité même.

D'ailleurs, ce n'est peut-être qu'une question de temps avant que ladite publicité nous offre l'euthanasie dès la venue au monde. La souffrance est symptôme de maladie, après tout. Elle doit donc idéalement, dans toute société qui se respecte, être éliminée:

«Épargnez-vous la douleur de vivre. Passez Go! rendez l’âme et trépassez sur-le-champ!» Pas chérrr, pas chérrr.

Une claque sur le museau avec ça...?

Jean-Luc Gouin

Québec, québec

9 décembre ‘00

Corollaire –.  Voir si désiré Les Péripatéticiens afin d’examiner ce que pour ma part j’appelle l’autoanglodéfrancisation, autre aspect pervers de la publicité actuelle en Québécie.

Les péripatéticiens

Langue et commercialité ... Jean-Luc Gouin


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