«  En passant... »
Une chronique de Jean-Paul Lanouette
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dimanche 08 janvier 2017

Empêchez vos potes d’en fumer du bon et conduire! 

        Ayoye! Ça ne vous fait pas tiquer, un énoncé pareil? Non? Vous êtes sûrs? Il le faudrait bien pourtant! Rien que des mots français dans cette phrase, c’est vrai, mais, au total, de l’anglais pur jus. Or, ce conseil de sécurité mal foutu – ou quelque recommandation de même tournure –, on risque fort d’y avoir droit une fois légalisé l’usage récréatif de la marijuana. Il suffira en effet à la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) de s’inspirer du message qu’elle nous sert impunément ces temps-ci à la télé : « Empêchez vos proches de boire et conduire!  

Message à consonance française, mais à fond anglais 

        Le hic, je le répète, c’est que cette façon de s’exprimer n’a rien de français. Déjà, il y a près de quatorze ans, dans une chronique linguistique « commise » et publiée en mai 2003, je m’insurgeais contre cette formulation bâtarde. À titre de traducteur agréé, amant passionné et inconditionnel de la langue française qui se sentait investi d’une noble mission, à savoir pourfendre l’infidèle (SAAQ) de sa plume acérée, j’y disais entre autres ceci : 

« Pareil message témoigne d’une méconnaissance profonde des règles fondamentales qui régissent la langue française. En effet, c’est faire fi du génie de la langue de Molière que d’escamoter de la sorte le lien de conséquence ou, si vous préférez, de cause à effet entre “boire” et “conduire” : n’est-il pas question, dans le cas qui nous occupe ici, d’empêcher des gens de conduire après ou parce qu’ils ont bu?  
« En juxtaposant directement l’action de conduire à celle de boire à l’aide d’une simple conjonction de coordination (“et”), on se trouve à éliminer le nécessaire lien causal entre les deux actions en question, lien qui, en anglais, peut se contenter d’être implicite. » 

Quoi qu’il en soit, le message « franglais » fut finalement et enfin retiré des ondes pour être remplacé par d’autres phrases, françaises jusqu’à la racine celles-là. Comment diable expliquer ce retour en force de l’indésirable « boire et conduire »? J’en ai eu une montée de bile dans la gorge, littéralement! 

        Certains, à la SAAQ, ont dû trouver que « empêchez-le de boire et conduire » (vulgaire copier-coller, ou plutôt servile traduction littérale, style Google, de l’original anglais (« don’t let him drink and drive »), c’est plus accrocheur, plus punchy que « s’il a bu, empêchez-le de conduire ». Ben voyons! On est capables, nous autres itou, fiers francophones que nous sommes, de faire dans le slogan percutant… sans pour autant renier notre langue, ni la défigurer. Un exemple parmi plusieurs : « OUI AU VERRE? NON AU VOLANT! – Rappelez-le à vos proches. » (Ce qui, par simple transposition, pourrait nous donner cette « ligne » non moins efficace : « OUI AU JOINT? NON AU VOLANT! – Soufflez-le à l’oreille de vos potes. » Voilà! Et c’est gratos! Alors, amis « SAAQuois », on dit merci… ou merde?)

La chronique linguistique : un genre tellement dépassé! 

        Il est permis de rêver… J’eusse de beaucoup préféré que quelqu’un d’autre que moi, plus jeune et plus branché, « encore dans le coup » comme on dit, prît le relais dans la condamnation de l’infâme « boire et conduire » qui semble si cher à la SAAQ. Hélas! dans ce cas-ci du moins, la « relève » ne s’est point bousculée au portillon. Il faut savoir que la rectitude linguistique, c’est affreusement passé de mode, ringard, complètement out, quoi! J’ai patienté quelque temps, espérant qu’un autre amoureux de la langue se pointe et reprenne le flambeau. Puis, d’attente lasse, face au silence radio – ou à l’indifférence –, je me suis résolu à reprendre du service comme pépère-la-virgule, soucieux de veiller à l’entretien et à la sauvegarde de ce merveilleux outil de communication qu’est le français. Excusez-la! 

        J’allais oublier… Voici mon argument massue, une botte tout simplement imparable comme cela se dit en escrime : je mets quiconque au défi de trouver quelqu’un qui, dans une conversation normale, dira spontanément qu’il est toujours préférable de « ne pas boire et conduire ». Je le reconnais, « ne pas conduire quand on a bu », c’est un peu plus long… mais ô combien plus français! 

Simple question de respect 

        En terminant j’invite tous les rédacteurs de pubs, sociétales ou autres, à se rappeler cette mienne paraphrase, un peu hardie, de la célèbre maxime du dénommé Boileau : « Vingt fois sur le clavier retapez votre message : travaillez-le sans cesse et le retravaillez. » Bien dire les choses, et surtout, bien les écrire, c’est se respecter soi-même; c’est aussi respecter celles et ceux à qui l’on s’adresse.

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