jeudi 18 septembre 2014
Musulmane
intégriste plutôt que bonne
infirmière?
par Robert
Barberis-Gervais
Dans sa chronique de «La Presse»
du 11 septembre 2014 intitulée
«Et la Charte?», Pierre Foglia a
raconté l’histoire suivante. Un
monsieur de 74 ans est dans son
appartement de l’avenue du
Mont-Royal, un bras dans le
plâtre jusqu’à l’aisselle et un
gros abcès dans le dos. Il
attend l’infirmière du CLSC du
Plateau-Mont-Royal qui doit
venir changer son pansement.
Elle arrive et elle porte le
hidjab. Le monsieur lui fait
savoir aussitôt qu’il est contre
le port du voile, il ajoute
qu’il a travaillé en Tunisie du
temps de Bourguiba. En Tunisie
du temps de Bourguiba, les
femmes n’étaient pas voilées :
le voile était même interdit ce
qui n’empêchait pas les femmes
d’être de bonnes musulmanes.
Alors pourquoi le portez-vous ?
Offusquée, l’infirmière
musulmane, s’en retourne
aussitôt au CLSC sans donner les
soins pour lesquels elle s’est
déplacée. Elle justifiera son
départ en disant qu’elle se
sentait menacée.
Le monsieur devra attendre la
fin de l’après-midi avant qu’une
autre infirmière vienne changer
son pansement. Il a porté
plainte.
La commissaire aux plaintes du
CSSS déplorera que le patient
ait dû attendre toute la journée
la visite d’une seconde
infirmière mais excusera le
départ précipité de la première.
Elle était en droit de le faire
si elle se sentait menacée.
Opinion reprise et entérinée,
début août, par le Protecteur du
citoyen.
En commentant l'incident, Foglia
met en doute la supposée
«menace». Il écrit: «Sans doute
que l'auxiliaire musulmane a,
commodément, exagéré son
inquiétude»
A mon avis, la Commissaire aux
plaintes et le Protecteur du
citoyen ont manqué de jugement.
Le citoyen qui est ici à
protéger, c’est le malade qui a
besoin de soins. Ce n’est pas
l’employée du CLSC qui est dans
l’obligation de rendre un
service.
Cette infirmière aurait dû faire
passer son devoir d’infirmière
avant ses susceptibilités de
musulmane qui a eu une réaction
de vierge offensée devant
l’opinion d’un patient qui était
contre le port d’un signe
ostentatoire pour une employée
de l’Etat pendant ses heures de
travail. Et qui était donc pour
la Charte des valeurs du
gouvernement Marois.
J’irais même plus loin. Il est
évident qu’elle a volontairement
inventé une menace qui
n’existait pas. J’en conclus que
son inquiétude imaginaire était
un geste politique. Son message
est le suivant : vous n’avez pas
le droit d’approuver
l’interdiction de porter des
signes ostentatoires pour les
infirmières, les enseignants,
les fonctionnaires etc comme le
propose la Charte à Drainville.
Si vous vous opposez à ce que je
porte le voile pendant mes
heures de travail, vous n’aurez
pas le service auquel vous avez
droit et en plus vous serez
blâmé par le Protecteur du
citoyen et la commissaire aux
plaintes. Ces hautes autorités
n’ont manifestement pas vu ou
voulu voir la dimension
politique de son geste. En
effet, c'était bien commode
d'exagérer pour justifier un
manquement à son devoir
d'infirmière.
A mon avis, l’infirmière voilée
n’aurait pas dû se sauver d’une
menace qui n’existait pas. Ce
qui doit être premier, c’est le
service à rendre. Tout ce qui
s’y oppose, tout ce qui le
compromet, est à blâmer.
Si la religion ne rend pas plus
fraternel et plus humain, à quoi
sert-elle, je vous le demande ?
Ce qui est certain, c’est que la
sorte de religion qui justifie
la fuite irresponsable de
l’infirmière visiteuse est une
forme d’intégrisme qui n’a pas
grand chose de religieux au sens
où je l’entends. Et que le fait
que cette sorte de religion
étroite individualiste qu’on
justifie sous le prétexte de «
convictions intimes » est
défendue par des commissaires à
l’Éthique ou par des Protecteurs
du citoyen ou est protégée par
les Chartes des droits montre
bien l’ampleur du problème
auquel nous faisons face au
Québec. Ce qui prouve que la
Charte des valeurs était bien
nécessaire.
On peut douter que le projet de
loi contre l’intégrisme du
gouvernement Couillard règle ces
problèmes. Il vient d'ailleurs
d'être renvoyé à la semaine des
quatre jeudis.
Comment se fait-il que cette
femme se prétende menacée par un
homme de 74 ans qui veut
comprendre pourquoi elle porte
le voile ? Les Québécois sont
comme ça : ils posent des
questions. Pourquoi a-t-elle été
incapable de discuter simplement
avec ce monsieur ? Pourquoi se
sentait-elle à ce point démunie
jusqu’à fuir ? Pourquoi une
personne en bonne santé
n’est-elle pas capable de faire
un peu d’humour avec un malade
qui en a bien besoin ? Une bonne
infirmière fait passer le malade
avant elle.
Parlant d’humour, pourquoi
n’a-t-elle pas dit au monsieur :
«Je suis le petit chaperon
rouge, ne jouez pas au gros
méchant loup ?» Est-ce que cette
sorte d’Islam qui impose le
voile aux femmes les domine à un
point tel qu’elles perdent tous
leurs moyens de défense et n’ont
d’autre choix que de faire
passer la religion avant
l’obligation de rendre service ?
Imaginez la même situation dans
un hôpital. Un patient qui a
voyagé dans un pays musulman est
dérangé par le voile et dit à
l’infirmière : «Vous savez que
le Coran ne vous oblige pas à
porter le voile alors pourquoi
le portez-vous ?» L’infirmière
se sent menacée et se sauve en
courant. Pensez-vous qu’un
hôpital peut fonctionner comme
ça ?
Ces infirmières sont payées pour
rendre des services et c’est
leur religion qui les domine et
leur enlève toute humanité.
Qu’on ne nous demande
d’approuver ce genre de religion
et de recommander aux Québécois
de se soumettre humblement.
Si la Charte des valeurs avait
été votée, l’incident n’aurait
pas eu lieu. Vive l’interdiction
des signes religieux ostensibles
sur les heures de travail.
Ceux et celles qui approuvent la
conduite de la femme voilée et
désapprouvent l'attitude du
malade se rendent-ils compte
qu'ils raisonnent comme si la
musulmane voilée avait tous les
droits et n’avait aucun devoir.
Et comme si le patient n’avait
aucun droit et avait tous les
devoirs. C'est à ce genre de
raisonnement aberrant que
conduit le respect à tout prix
d'un particularisme beaucoup
plus culturel que religieux.
C'est ce qu'André Drouin par son
code de vie d'Hérouxville a
voulu dénoncer avec raison. Les
femmes musulmanes (puisqu’on
parle d'elles mais ça s'applique
à toutes les religions)) n’ont
pas à imposer leur intégrisme
voilé dans des fonctions qui
doivent témoigner de la
neutralité religieuse de l’Etat.
On a le droit de contester ce
qui fait du voile musulman un
absolu et qui donne priorité à
ce qui est appelé abusivement
«des convictions intimes»
intouchables et dites
«religieuses» qui justifieraient
le port du voile partout et en
tout temps.
Depuis quand une forme très
particulière de religion
autorise-t-elle à manquer de
compassion envers un malade?
Toute religion qui empêche
d'être humain n'a pas sa place
dans le Québec tel que nous le
souhaitons.
Je termine en citant Marguerite
Yourcenar, « Les yeux ouverts »
entretiens avec Mathieu Galey.
(1980)
« Les « quatre voeux bouddhiques
» que je me suis souvent récités
au cours de ma vie j’hésite à
les redire en ce moment devant
vous, parce qu’un voeu est une
prière, et plus secret encore
qu’une prière.
En simplifiant, il s’agit : de
lutter contre ses mauvais
penchants ; de s’adonner
jusqu’au bout à l’étude ; de se
perfectionner dans la mesure du
possible ; et enfin, « si
nombreuses que soient les
créatures errantes dans
l’étendue des trois mondes ».
c’est-à-dire dans l’univers,« de
travailler à les sauver ».
De la conscience morale à la
connaissance intellectuelle, de
l’amélioration de soi à l’amour
des autres et à la compassion
envers eux, tout est là, il me
semble dans ce texte vieux de
quelque vingt-six siècles. »
Ami lecteur, amie lectrice,
voilà des règles de vie qui
peuvent inspirer tout être
humain, y compris une infirmière
musulmane.
p.s. Ce texte a été écrit en
collaboration avec ma conjointe
Marcelle Viger. Merci pour sa
métaphore du petit chaperon
rouge.
Robert Barberis-Gervais,
Vieux-Longueuil,
jeudi 18 septembre 2014
barberis@videotron.ca
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