dimanche 16 mars 2008
Stop, ou le bon choix de Mont-Royal
Moi qui, politiquement parlant, ai toujours « porté à gauche », je me
dois cependant de soutenir Mont-Royal la richarde dans sa décision
d’enfin extirper le Stop de l’opprobe où il croupissait depuis 1982,
année devant marquer la disparition des panneaux Arrêt-Stop et
l’avènement des Arrêt tout court, du moins en principe.
Dites, vous vous
rappelez les Arrêt-Stop? Intéressante saga que celle-là! D'entrée, il
importe de préciser que, dans ce dossier mal géré depuis le début, on
n'est coupable que d'avoir couardement laissé le politique prendre le
pas sur la logique.
En effet, alors qu'il
eût fallu lutter avec l'énergie du désespoir pour empêcher que ne
triomphe une puissante aberration, on s'est rangé sans coup férir à
l'argumentaire téteusement populiste de quelques décideurs québécisants,
aussi enragés qu'obtus, qui s'affirmaient résolus à se démarquer d'une
appellation éminemment suspecte telle que stop, mot-réalité qui, en soi
et au-delà des lettres qui le composent, constitue pourtant un symbole
reconnu et respecté UNIVERSELLEMENT.
Ainsi donc,
visiblement aveuglés qu'ils étaient, ces « malheureux élus », obnubilés
sans doute par leur souci puéril, mais très exclusif, de marquer
ostensiblement, et à n'importe quel prix, la spécificité québécoise par
rapport à l'envahissante omniprésence des Canadians,
lesquels, de leur côté, se tamponnent « royalement » de nos
revendications territoriales… pour autant, bien sûr, qu'elles ne
débordent pas le cadre terminologique.
On peut affirmer, sans
crainte de charrier, que le mot stop, dès lors qu'il se découpe en
grosses lettres blanches sur fond rouge octogonal, s'affranchit ipso
facto de tout code linguistique, et cela, au même titre que
l'immanquable M mcdonaldien. Il – le mot stop – cesse alors d'être du
français (eh oui!) ou de l'anglais… ou encore du serbo-croate… pour
devenir partie intégrante et indissociable d'un quasi-pictogramme
utilisé et reconnu dans le monde entier (hormis quelques rares pays non
occidentaux et… le Québec!) et, surtout, compris par quiconque est doué
du sens de la vue, même les analphabètes et les daltoniens!
Déjà qu'avec notre
ancien Stop version « enrichie » (c.-à-d. cet Arrêt-Stop qui se voulait
bilingue aux yeux de tous, mais qui, en réalité, ne l'était que pour les
anglophones, puisque tout « parlant-français » tant soit peu averti y
voyait plutôt un agaçant pléonasme), déjà, donc, que nous faisions
figure de bienheureux « ti-counes » à qui il faut tout bien expliquer,
en mettant non seulement les points et les trémas sur les « i » ou les
barres sur les « t », mais encore… le mot arrêt sur les Stop… Car il ne
faut pas s'y tromper : dans cet Arrêt-Stop de triste mémoire, le
mot qui faisait redondance, c'était celui d'arrêt! Si, au lieu de se
contempler béatement le nombril, nos « apôtres de l'épuration »
s'étaient donné la peine de s'étirer le cou un tantisoit pour regarder
autour d'eux, par-delà leur cour fermée, ils auraient peut-être compris
qu'arrêt était le vocable à évacuer de ce panneau de signalisation
« surchargé ». Hélas! on a confondu le superflu et l'essentiel,
privilégiant le premier pour occulter le second! Que voulez-vous, le
poids de ses sabots ne fait pas que ralentir l'homme borné : c'est aussi
ce qui porte ce dernier à se concentrer bovinement sur ses pieds plutôt
qu'à embrasser l'horizon du regard.
Eh bien! bravo! c'est
réussi! « On » est bel et bien parvenu à « nous » distinguer des Anglos,
mais aussi, ce faisant, du reste de la francophonie, de même que du
monde dit civilisé; joli coup double… qui a plutôt l'allure d'un coup
fourré que l'on se serait porté à soi-même. Ça, faut le faire! Et, « en
bout de ligne »… et de poteau, ça nous a donné des Arrêt uniques
au monde, et avec lesquels nous sommes pris pour longtemps! En effet,
j'ai bien peur qu'il va falloir nous y faire, à ces
satanés
panneaux à fort indice de
risibilité… qui
permettent à notre ignorance crasse de s'afficher sans vergogne à toutes
les intersections du Québec, et voici pourquoi : quand on songe que la
plupart des municipalités ont, depuis lurette déjà belle, achevé de
remplacer à grands frais tous leurs Arrêt-Stop, il est facile d'imaginer
quelle serait la réaction de nos valeureux édiles si l'on s'avisait de
leur expliquer qu'il y a eu maldonne, que c'est le mot d'arrêt qu'il
fallait faire sauter, et non pas celui de stop…
Peut-être n'y a-t-il
point là matière à fouetter un chat, arguërez-vous; n'empêche que c'est
dans des cas comme celui-là, où des « politicailleurs » à courte vue
font de mon peuple un objet de risée, que j'ai mal à ma « québécitude ».
Cette mienne manière d'être et de sentir qui, normalement, se nourrit de
fierté, ne la voilà-t-elle pas, à cause de joyeux « colon(isé)s »,
assimilable trop souvent à une attitude enfermante et nombriliste… Voyez
un peu ça : nous sommes les seuls à « avoir le pas », et nous le clamons
partout. Belle façon de nous faire remarquer… À brailler!
Si, comme moi, vous
n'arrivez tout simplement pas à piffer ces fichus Arrêt, vous pouvez
toujours, pour vous consoler ou vous remonter le moral, aller faire une
virée du côté de Mont-Royal : vous y verrez, ô joie indicible! les mêmes
Stop « multiunilingues » qu'en France, qu'en Belgique ou en Suisse…
tiens donc!
Jean-Paul Lanouette