« En passant... »

Amélioré… pour qui?

             Je suis en train d'ingérer un yogourt aux fraises «amélioré» : teneur en matière grasse de 0 %, saveur[1] – ou plutôt arrière-goût – de Kool-Aid ayant pour seule vertu de me rappeler ma jeunesse innocente, etc. Disons que cela n'a rien d'une expérience gustative à raconter à mes proches, et encore moins à immortaliser dans une quelconque chronique gastronomique! «Amélioré», le yogourt, vraiment?! 

            En un mot comme en mille, j'en ai ras-le-bol de tous ces produits carrément dénaturés qui ne sollicitent guère mon sens du goût. Parlons-en de ma faculté de goûter : littéralement endormie, qu'elle est, altérée, pour ne pas dire assassinée par des années d'insipidité et de «malbouffe» forcée ou, à tout le moins, involontaire! 

            Regardons simplement du côté des desserts ou des friandises : le tableau n'est pas des plus réjouissant, je le qualifierais même de déprimant à l'os. Ainsi, les Whippet de Viau, les Jos. Louis de Vachon, les Cherry Blossom de Lowney et autres gâteries ont non seulement beaucoup «maigri» (davantage en grammes qu'en calories vides), mais aussi perdu ce «p'tit queq' chose» qui leur conférait un goût de «revenez-y». Un coup d'œil sur la liste sans cesse renouvelée[2] des ingrédients entrant dans la composition de ces produits «comestibles», liste où l'artificialité le dispute en importance à la longueur des termes à saveur «chimique», un coup d'œil sur les ingrédients, dis-je, devrait normalement suffire à nous couper l'appétit net!

 

            Or, on nous chante pourtant sur tous les tons que le consommateur a désormais droit à de l'«amélioré», et cela, qu'il s'agisse de bouffe ou de détersif. La question à se poser, c'est : « Amélioré, je veux bien, mais pour qui? » Le croiriez-vous, cette interrogation fondamentale, le regretté Jean Filiatrault, professeur émérite de traduction publicitaire et écrivain, nous invitait déjà à la faire nôtre au début des années soixante-dix! M. Filiatrault faisait alors ressortir que le fabricant qui trouve un moyen de produire son biscuit à moindre coût et avec des ingrédients qui en repoussent la date de péremption est sûrement fondé, de son point de vue à lui en tout cas, à affirmer que son produit est «amélioré». En somme, moins bon au goût du consommateur, mais d'un rapport «coût de production – marge de profit» drôlement intéressant pour le fabricant… 

            Ces yogourts insipides et sans consistance, aux couleurs fluo pour le moins suspectes – je veux dire par là : « Pas très "alimentaires", mon cher Watson! » –, nous pouvons être assurés qu'ils sont à la fois plus faciles et moins chers à produire que les «vrais» d'antan, et aussi qu'ils ont une durée de conservation pas mal plus longue. Améliorés? You bet! Élisabeth! 

            Parallèlement à cela sévit ce que j'appelle le phénomène du nivellement par le milieu, qui explique ce lourd déficit observé sur le plan gustatif pour ce qui a trait au contenu dit «mangeable» de notre panier d'épicerie. Soucieux non point de plaire au plus grand nombre de gens, mais de déplaire au moins large éventail possible de consommateurs et trices potentiels, les gros brasseurs de bière tels Molson et Labatt, les géants[3] du hamburger ayant nom McDonald's, Harvey's, Wendy's ou Burger King (je les nomme tous, question de ne pas faire de jaloux), eh bien! tout ce beau monde vise au milieu de la palette, pensant ainsi «toucher» le plus de gens possible, moyen le plus sûr d'augmenter ses chances de succès. 

Le hic, c'est que le «milieu» ainsi recherché, c'est ni plus ni moins qu'une vulgaire moyenne, une donnée sur papier qui ne correspond à personne en particulier. Souvent, qui dit «milieu» dit «neutre», et qui dit «neutre» dit «absence de goût marqué»[4]. Le one size fits all, c'est connu et vérifié, ça nous donne quelque chose qui ne va vraiment bien à personne en fin de compte. Ouais! qu'il s'agisse de caleçons ou de «hambourgeois», le un-pour-tous n'a rien de transcendant! Ça peut vous dépanner, sans plus; vaut parfois mieux, je le concède, arborer une paire de «bobettes» un peu flottantes que d'assumer une nudité embarrassante, vaut sûrement mieux aussi s'envoyer un Big Mac derrière la cravate que de tomber d'inanition. 

            Parlons-en du menu McDo : après avoir ingurgité sa commande, personne ne dira que c'était vraiment bon, mais, en revanche, personne – sauf culpabilité soudaine pour motif idéologique ou autre – ne dira non plus que c'était franchement mauvais, et c'est là le secret! Tout le monde, ou presque, peut en manger; le nombre faisant foi de tout, «améliorer» un produit comestible, c'est le rendre ingestible à la plus grande quantité de gens possible (on pourrait appeler ça : élargir aux max la fourchette de ses clients potentiels). Avantage non négligeable pour les associés de Ronald, une bouffe insipide ne vous porte point à vous éterniser, ce qui favorisera un meilleur roulement… c'est-à-dire plus rapide… de la clientèle à l'intérieur de l'établissement. 

            Hélas! la déprimante litanie des aberrations ne s'arrête pas là! Que non! Tenez, tout juste hier (26 mars 2003), ne pouvait-on point lire dans La Presse que le packaging – mot in dont usent plus volontiers les publicitaires pour nous «vendre» un vulgaire emballage – influe grandement et directement sur la perception du consommateur à l'égard du produit «packagé». En substance, voici ce que ça veut dire : il suffit de «revamper» le look d'une canette de bière pour que, ô miracle! le contenu du contenant en question, hier encore assimilé à du pissat de cheval, se transforme en un délectable nectar capable de provoquer chez nos papilles gustatives une joyeuse sarabande… 

            Cout'don! le faisons-nous exprès d'être cons comme des balais sans manche!

Ce yogourt infect dont je viens d'enfourner une dernière «braoulée», je le «méritais» autant qu'il m'irrite. Je n'avais qu'à lire l'étiquette : je n'aurais pas acheté la chose, c'est sûr! 

Jean-Paul Lanouette
jplanouette@sympatico.ca

 

[1] En «bon» français, il vaudrait mieux dire parfum que saveur (flavour), mais, voyez-vous, au Québec, parfum et bouffe ne font pas bon ménage : simple question de perception. Pour nous, le parfum «vient» en fiole, exclusivement!

[2] Cette liste se modifie et s'«enrichit» au fil des découvertes scientifiques. Il faut savoir que les fabricants sont en quête constante de ces ingrédients miracles qui feront que les biscuits tendres resteront mous des mois durant, alors que les secs, eux, seront croquants sous la dent longtemps, longtemps… Et on a le toupet de continuer d'appliquer l'appellation «naturel» sur les boîtes renfermant ces biscuits à la recette originelle ainsi trafiquée!

[3] Géants dont «McDoune» est le roi incontestable!

[4] Par définition, neutre, c'est pas «youppe-di-laille», mais «drabe» en masse!

 

vendredi 28 mars 2003