« En passant... »
Textes de Jean-Paul Lanouette

« Empêchez vos amis de boire et conduire.* Insistez! » (SAAQ) 

* Thème à repenser ou, plutôt, à réécrire… en français, s'il vous plaît! Cela saute aux oreilles : cette façon petit-nègre de s'exprimer, c’est du pur anglais – il s’agit en effet de la traduction mot à mot de : “Don’t let your friends drink and drive!” Pourtant, on l'oublie trop facilement, le pouvoir de persuasion d’un message passe encore par le respect dont celui-ci témoigne pour la langue qui lui sert de véhicule. 

         Ces temps-ci, à la télé, on a droit à un «beau» message de la part de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ). Ce message – qui a été largement diffusé à peu près à la même époque l'année dernière, et qu'on a décidé de «sortir des boules à mites» pour nous le resservir tel quel aux heures de grande écoute –, ce message, donc, fait appel à la noblesse d’âme de l’homme et de sa compagne. Or, si les images montrant des jeunes gens déterminés à ne pas laisser prendre le volant à leur ami «chaudasse» sont porteuses de la charge affective recherchée, il faut dire que, sur le plan du texte, ça se gâte joliment. « Empêchez vos amis de boire et conduire! », ose nous implorer la pub sociétale. Ouch! « C’est quoi, la patente? » comme le demande d’ailleurs le type qui n’est pas en état de prendre son «char». Si la force d'un bon spot télé réside dans un heureux amalgame images et texte, alors c'est loupé ce coup-ci… à cause essentiellement d'une «faiblesse» extrême… côté texte! 

Le dire à l'américaine 

            Depuis de nombreuses années, les Américains ont un slogan punchy (percutant) et accrocheur qu'ils martèlent à grande échelle, tant dans les médias écrits qu'électroniques : "Don't drink and drive!", qui, en traduction littérale (ou servile!), nous donne l'affreux et inintelligible « Ne buvez et conduisez pas! », et qui, en traduction réfléchie, nous donnerait quelque chose comme « Ne conduisez pas après avoir bu! » ou « Il ne faut pas conduire quand on a bu! ». 

            La boîte qui a décroché le contrat de la SAAQ a, semble-t-il, jugé bon de récupérer le message en question, puis de l'adapter vite fait… en négligeant de décoller de l'anglais, hélas! Je vous le demande : est-il normal que, la toute première fois que j'ai entendu et lu à l'écran ce « Empêchez vos amis de boire et conduire! », ce soit la phrase jumelle anglaise qui m'ait automatiquement assailli l'esprit ("Don't let your friends drink and drive!")? Eh bien! cela n’a rien que de normal étant donné que cette façon de s'exprimer, c'est de l'anglais à 100 pour cent, pur jus! Ce qui l’est moins, normal, c’est que ce message boiteux – en anglais mal déguisé (ici, y’a pas que le jupon qui dépasse!) – s’adresse en principe à une audience francophone, très vaste par surcroît! Moins normal, disais-je donc, car, en publicité comme dans toute autre forme de communication d’ailleurs, la simple logique et le plus élémentaire des respects ne commandent-ils pas que l’on ait recours à un idiome correspondant parfaitement au mode de pensée et d’expression du public cible, ces gens à qui l’on cherche à vendre un bidule quelconque ou, dans le cas présent, une idée à la fois noble et attrayante, à savoir : empêcher un ami pompette d’aller se tuer derrière le volant? En vérité, poser la question, c’est y avoir déjà répondu, et depuis longtemps! Il eût pourtant été si simple de dire : « On ne laisse pas conduire un ami qui a bu! », ou « L'ami qui a bu, il faut l'empêcher de conduire! », ou « Il a bu? Ne le laissez pas prendre le volant! », ou encore « Oui au verre? Non au volant! », etc. – vous voyez : ce ne sont pas les solutions de rechange qui manquent! 

            Voici donc ce que j'ai à dire aux publicitaires qui nous ont concocté cette «affrosité» linguistique. « Essayez de me suivre : ça vaut la peine, et cela vous évitera peut-être de nous créer d’autres monstres de cet acabit. Désolé! les amis, c'est pas français vot' truc! Pareil message témoigne d’une méconnaissance profonde des règles fondamentales qui régissent la langue française. En effet, c'est faire fi – plus par ignorance crasse ou paresse intellectuelle que par effronterie ou malveillance –, oui! c'est faire fi du génie de la langue de Molière que d'escamoter de la sorte le lien de conséquence ou, si vous préférez, de cause à effet entre "boire" et "conduire" : n’est-il pas question, dans le cas qui nous occupe ici, d'empêcher des gens de conduire après ou parce qu'ils ont bu? En juxtaposant directement l'action de conduire à celle de boire à l'aide d'une simple conjonction de coordination ("et" – empêchez vos amis de boire et conduire), vous vous trouvez à éliminer le nécessaire lien causal entre les deux actions en question, lien qui, en anglais, peut se contenter d’être implicite. 

            « Me faisant l'avocat du diable contre moi-même, je dirai que d'écrire "Empêchez vos amis de boire et conduire!" plutôt que "… de boire et de conduire!" vous permettait au moins de respecter la logique de l'anglais ("don't drink and drive", ça ne veut pas du tout dire la même chose que "don't drink and don't drive"). Vous avez donc fait sauter la deuxième préposition ("de"), pensant ainsi constituer un seul bloc "signifiant" (boire et conduire). Ne s'agissant point en l'occurrence d'empêcher des gens, d'une part, de boire, et, d'autre part, de conduire, mais de conduire s'ils ont bu, vous avez cru bien faire comprendre par votre message calqué sur l'anglais qu'il faut que les deux conditions (boire et conduire) soient réunies pour que s'applique l'interdiction (empêchez…). Le problème, je le répète, c'est que cette façon de dire et de penser ne respecte pas la logique du français, lequel exige le plus souvent des mots ou tournures plus explicites qu'un simple "et" pour marquer la spécificité des divers rapports à établir entre les termes d'un énoncé ou, plus simplement, comme ici, pour exprimer la nature précise du rapport entre deux verbes, c’est-à-dire deux actions. » 

            On risque gros à prendre de telles licences avec une langue : c'est ainsi que s'altère l'esprit qui l'anime. Il y a d'autant plus lieu de s'en faire que, cette fois, le mauvais exemple nous vient d'en haut. Messieurs-dames de la SAAQ, je vous invite donc à renvoyer illico à leurs crayons et à leur manuel de grammaire française de base ceux qui vont ont pondu (ou plutôt «copié» de l'anglais au français) le texte de la pub incriminée. Cela dit, il faut espérer que vous saurez à tout le moins les empêcher de penser en anglais et écrire, oups! je veux dire : les empêcher d’écrire tant et aussi longtemps qu’ils penseront en anglais. Soit dit en passant, je suis convaincu que le locuteur français moyen «exposé» à un énoncé du genre de celui décrié par le présent texte sent ou sait d'instinct qu'il y a quelque chose qui cloche – nul besoin d'être un linguiste patenté, bardé de diplômes; je vous mets au défi de me trouver quelqu'un qui, spontanément, dirait : « Empêchez-le de boire et conduire! »… 

Langue synthétique, of course 

            Il faut savoir que l’anglais est une langue dite synthétique, c’est-à-dire une langue qui s’accommode parfaitement du non-dit, se complaisant même dans une utilisation quasi systématique du sous-entendu, alors que le français, lui, foncièrement analytique, se veut une langue explicite, où non seulement les mots, mais aussi les rapports entre ceux-ci doivent être clairement exprimés (pas étonnant que bon nombre d'ambassadeurs nostalgiques la désignent encore comme la langue de la diplomatie). Or, c'est pas sorcier, il en va de synthétique et analytique comme d'alcool et volant : ça ne fait pas bon ménage! 

            En un mot comme en mille, cette campagne visant à réduire le nombre d'accidents routiers imputables à l'alcool, c’est – n'ayons pas peur des mots – du  travail bâclé! « Dans mon livre à moi » – tout comme dans celui, je présume, des rédacteurs publicitaires sérieux et autres professionnels de la langue dignes de cette appellation –, qui dit message à demi réussi dit, en définitive, message complètement raté et, partant, inutilisable auprès du grand public. Alors, qu’on nous retire «ça» des ondes, qu’on évacue sans ménagement cet immonde charabia : ça urge! Il y va de la crédibilité de «notre» Société de l’assurance auto et, plus important, de l’intégrité de notre langue, à court et à long termes. 

            Je l’ai dit plus haut : simple question de respect. 

            Allô! j’écoute!… Message reçu? Il faut y compter, sinon le jour n’est sans doute plus très loin où, à son tour, quelque organisme voué à la sécurité nautique, genre la Société canadienne de sauvetage ou la Croix-Rouge, pourra s’estimer parfaitement fondé – linguistiquement parlant – à nous exhorter sur les ondes à… « empêcher nos enfants de manger et nager ».

Jean-Paul Lanouette
jplanouette@sympatico.ca


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