« En passant... » --- Textes de Jean-Paul Lanouette

« Les Invasions tranquilles »

            Il en va des petites habitudes comme des vieilles traditions : elles finissent par s'étioler, puis se perdent tout à fait, se voyant alors reléguer sans ménagement au fond de la poussiéreuse armoire aux souvenirs. Dans certains cas, c'est tant mieux, dans d'autres, un peu dommage, presque triste. 

 Ainsi, il y a de cela trente ans à peine, encore tout plein de gens – et pas rien'q des vieux (rassurez-vous, le mot «vieux» n'était aucunement péjoratif à l'époque dont je vous parle) – plein de gens, donc, s'installaient sur leur «galerie» après le souper, qui dans de frêles fauteuils de jardin pliants en aluminium, qui dans de confortables berceuses, qui directement dans les marches… pour regarder passer les voitures et saluer les passants, qui s'arrêtaient parfois un instant sur le trottoir. « Non mais, fait-tu beau rien qu'un peu! » suffisait-il de lancer. La conversation était alors amorcée pour au moins cinq minutes, pouvant même s'étirer jusqu'à la brunante! « Oh! dites donc, faut que j'y aille : je travaille demain, moi! » 

La conversation : un réflexe émoussé 

Aujourd'hui, nombreux sont les amateurs de marche de santé ou d'agrément, ce qui est fort louable. Mais, hélas! sauf rares exceptions, les balcons et perrons sont déserts, si bien que le réflexe de l'échange verbal s'est comme émoussé entre les «assis» et les «mouvants». En effet,  lorsqu'un promeneur avise une «galerie habitée», il ne lui vient pas à l'idée de saluer ces gens s'il ne les connaît pas, encore moins d'engager avec eux la moindre conversation. « Ben voyons! ça se fait pas! » Voilà où l'on en est! 

Dans les nouveaux «développements domiciliaires», où les trottoirs brillent par leur absence, c'est encore pis! Même les marcheurs de l'après-souper constituent désormais une race en voie d'extinction! On préfère s'enfermer côté cour, sur le «patio» ou au bord de la piscine, ce que, en toute objectivité, j'arrive à comprendre… même si, «en queq' part», je ne peux m'empêcher de le déplorer. 

D'ici, j'en entends déjà parler virus du Nil et réchauffement de la planète dans le même souffle : « Pourquoi prendre un semblant de frais à l'extérieur et se faire manger à mort par les maringouins quand on jouit d'un vivoir climatisé? » Mais comment diable de fiers descendants de Radisson et de Desgroseillers peuvent-ils à ce point avoir égaré leur petit côté… aventurier? « Allons, un peu de courage : squattez ce perron trop longtemps délaissé! La fois d'après, vous verrez, ça ira tout seul. Vous en redemanderez! » 

            À l'heure de l'Internet à tout-va, à l'heure des inévitables reprises d'émissions pourtant déjà «plates» en première diffusion, à l'heure de cette myriade de reality shows insipides dont sont pollués nos écrans de télé en pleine période de pointe, j'ose vous inviter à déménager une couple de chaises de jardin sur le perron, espace privilégié «branché» exclusivement sur le petit monde grouillant alentour de chez vous. Très important : n'oubliez surtout pas d'oublier votre cellulaire à l'intérieur. Vous pourrez ainsi, enfin! – avant votre marche ou après – humer tout votre saoul l'air du temps, le vrai, c'est-à-dire le vôtre en même temps que celui des gens du coin. 

Simple exercice de convivialité 

« En veillant su'l perron », titre du gros succès populaire de la fin des années cinquante interprété par l'increvable Dodo, est également le nom de code donné à l'opération visant à restituer au peuple québécois «son» territoire… inoccupé. Il s'agit en fait d'un exercice de convivialité dans sa forme primitive, à exécuter, celui-là, autrement que par clavier interposé. Dans le cadre de cette offensive pacifique axée sur un envahissement progressif et sans douleur, chacun est appelé à… s'asseoir. 

Personnellement, histoire de réapprendre à «naviguer» ailleurs qu'ailleurs, je viens de «gréer» mon nouveau perron de deux chaises, pis pas juste pour le look! Je ne veux pas «partir» de mode, ni rendre in les bercethons à Balconville, non! seulement amener mes congénères à redécouvrir un petit plaisir innocent qui ne coûte pas cher… et fait pas mal de bien. 

Le perron est un lieu hautement habitable à se réapproprier : il ne tient qu'à nous tous de lui redonner ses lettres de noblesse. Ça vaut le coup et le coût, car il n'est meilleur endroit pour regarder passer le temps et le forcer à ralentir sa course folle. 

Ah! prendre place devant sa porte d'entrée et y trôner en roi prolétaire… Voilà somme toute une saine activité à «déquétainiser» au plus vite, en banlieue comme à la ville, vraiment! 

Et si c'était le début des invasions… tranquilles? À vos balcons, citoyens!

Jean-Paul Lanouette
jplanouette@sympatico.ca

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