– La «culture» sportive au Québec : on fait dur! Le dernier saut de
Valery Brumel
Hier matin (27 janvier), quelques misérables lignes reléguées
dans le coin inférieur gauche d'une page de journal[1]
m'apprenaient le décès de Valery Brumel. Pas la moindre photo
d'archives! Toute une dégringolade ou, comme on dit en québécois, «méchante
drop» pour un héros mythique qui avait su sauter si haut, ah!
çà, oui! plus haut que tous ses contemporains, en fait!
Reportons-nous en 1961, si vous le voulez bien. Ti-cul parmi les «bleus»
d'Éléments latins, je pénètre pour la première fois dans la
salle Saint-François de l'Externat classique, à Longueuil; c'est là,
m'apprend-on, que les «grands» des Philo I et II s'affrontent
pendant l'heure de midi dans des matches épiques de hockey intérieur; là
aussi que les élèves, tous niveaux confondus, se retrouvent assis côte
à côte pour suer sang et eau devant leurs copies d'examens de Noël et
de fin d'année. Au fond de la salle, du côté nord, j'avise une série
de photos noir et blanc disposées horizontalement au-dessus des
fontaines. Je m'approche pour mieux voir : placées à une hauteur équivalente
à celle du record mondial de l'époque (2,25 mètres, soit environ sept
pieds![2]),
les photos en question nous dévoilent successivement les différentes
phases d'un saut ventral exécuté à la perfection par un Soviétique…
C'est ainsi que je découvre l'existence, et surtout, l'immense et très
évident talent du grand Valery Brumel. Un athlète exceptionnel, un vrai,
quoi! Vouloir
faire dans le style pompier, lequel, ma foi, serait presque de
circonstance, je pourrais vous servir ici quelque chose du genre : « En
l'occurrence, et nous l'affirmons sans ambages, ce que l'on offrait ainsi
en pâture au regard haut porté des jeunes gens ayant grand-soif de
savoir… et d'eau, c'est non point un Beau Brummel, mais le saut
de Brumel, représentation plus transcendante, ô combien! que n'importe
quelle "belle gueule"… »
Je ne saurais dire le nombre de fois où, littéralement hypnotisé,
j'ai balayé ces photos du regard, de gauche à droite, tentant de créer
dans ma p'tite tête l'illusion du mouvement, de recomposer la fluidité
de l'enchaînement gestuel suggérée par les images de cet exploit
physique quasi surhumain réalisé pourtant par… un homme. C'était
devenu chez moi un geste machinal, un réflexe pavlovien en quelque sorte:
il suffisait que, ayant envie d'un bon coup d'eau après une intense séance
de trampoline ou de «cheval allemand», je fisse jaillir l'eau d'une des
fontaines pour que, aussitôt, mes yeux se mettent à escalader le mur, en
quête du bonhomme que j'imaginais monté sur ressorts hélicoïdaux.
Croyez-moi, à côté de celui qui, en sautant, aurait pu «chatouiller»
un dessus de cadre de porte avec son nombril, tout autre homo sapiens accusait des allures de «rampant». Que de talent,
mais aussi que de travail il avait sans doute fallu à ce tout jeune
champion de 21 ans pour en arriver là… au-dessus de nos têtes à tous!
Tout ça pour dire que, d'une façon certaine, Valery Brumel, homme
et athlète d'envergure, demeure une source d'inspiration pour quiconque désire
s'élever, dans quelque domaine que ce soit.
Plus de quarante ans après avoir «fait votre connaissance»,
l'homme que je suis devenu[3],
de même que l'athlète en moi (tout ce qu'il y a de plus amateur et,
avouons-le, fort peu doué!) qui, envers et malgré tout, s'acharne encore
et toujours à tenter d'améliorer son «mouvement de bras» au crawl et
sa foulée de coureur à pied, quarante ans plus tard, disais-je donc, je
vous salue bien bas, Monsieur Brumel, vous qui sautiez bien haut. Dommage
que je n'aie point eu l'heur de vous dire le mot de Cambronne avant que
vous exécutiez votre tout dernier saut, dans l'au-delà, celui-là.
J'imagine que même un être d'exception comme vous eût volontiers accepté
mes modestes encouragements à la veille d'une telle «steppette», aussi
finale que définitive. Jean-Paul Lanouette [1] Dans le cahier des sports – ou tabloïd – de La Presse, en page S-10, c'est en effet sept petites lignes à peine qu'on a consacrées à la nouvelle. [2] Wow! sept pieds! Quand, debout sous l'infamante toise, «le corps raide et les oreilles molles», on en fait soi-même moins de cinq, de pieds (en 1961, rappelons-le), c'est haut en titi, ça! En fait, ça dépasse carrément l'entendement. [3] Hélas! ou tant mieux! on ne peut par rester ti-cul toute sa vie! samedi 01 février 2003
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