« En passant... »

Dans consommateur, il y a con! 

– Ô mère-grand, comme vous répétez souvent la même chose…
– C'est pour mieux t'abrutir, mon enfant!
 

            Loin de moi l'intention, par ce titre un tantinet provocant, de traiter le consommateur d'imbécile. À la vérité, je désire plutôt attirer l'attention sur le fait qu'il y a, parmi les «vendeurs du temple» du XXIe siècle, de tristes individus qui le prennent manifestement pour un parfait demeuré, ce pauvre consommateur au dos aussi large que son écran de télé. 

            Dites-moi, quel peut bien être le génie du marketing qui, s'appuyant sur quelque sondage occulte ou recherche savante, a déterminé que le fait de passer la même pub «totonne» trois fois en moins de dix minutes constituait une stratégie efficace pour appâter et attirer le public cible (en passant, c'est vous et moi, ça, la «cible» ainsi visée)? Convaincre par l'écœurement, ça me semble étrange… Efficace? peut-être auprès de certains sujets réceptifs à la technique du coup de marteau (degré de subtilité zéro et, surtout, ré-pé-ti-tion)… Emmerdant? à coup sûr, à tout le moins pour quiconque ne gît pas dans un état semi-comateux devant son téléviseur. 

            C'est vrai, rien ne vaut un bon exemple. Prenez la dernière pub de Brault & Martineau mettant en «veudette» l'increvable Serge Bélair, ex-«pigeur» de boules de bingo qui sévissait l'après-midi, à l'époque déjà lointaine des tout débuts – en noir et blanc – du très racoleur «canal» 10 (CFTM). Chic and swell dans son smoking, M. Bélair, qui a pris des couleurs depuis, nous rappelle ad nauseam que B & M s'est mis sur son 36… façon élégante de «nous» offrir non pas 24, mais 36 mois pour payer nos volumineux achats. Plus subtil que ça, tu transformes un hippopotame en gazelle, ou tu déguises un Bélair en impala[1] (à moins que ce ne soit un Bel-Air en Impala), puis, satisfait de ta petite personne et de ta «performance», tu attends comme ton dû les applaudissements nourris d'une foule en délire! Eh bien! hier soir, en deux heures d'écoute à peine, je ne sais trop combien de fois, téléspectateur malheureusement «captif» d'une émission qui m'intéressait, j'ai eu droit au message en question!… Vous aurez compris que, pour les applaudissements, faudra repasser, comme on dit… mais, par pitié, pas l'annonce! 

            Désolé, messieurs les publicitaires, mais devoir me farcir trois fois d'affilée «le gros Bélair», fût-il sur son 36, et eût-il le cou agrémenté d'une «boucle[2]»… comme un cadeau, je trouve ça d'un péni-i-i-i-i-ble achevé. Tenez, ça me rappelle l'inénarrable Jacques Laperrière, défenseur émérite du Canadien des belles années, qui, dans une annonce devenue célèbre, disait avoir l'impression de se réveiller à l'hôpital lorsque, au matin, bien bordé dans son lit aux draps blancs, il était pris de maux de tête lancinants et… pénibles. Ç'avait au moins le mérite d'être un peu drôle, et on ne nous l'imposait pas dix fois dans une seule soirée… 

            L'excuse de l'efficacité ne tient pas la route. Ça sent bien davantage la solution de facilité, si vous voulez mon avis. On a des cases pub à remplir, et c'est ce que l'on fait à tour de bras, sans égard à la qualité ni à la pertinence du contenu; je suis peut-être naïf ou tout simplement ignorant des grands principes de cet art «consommé» qu'est la vente, mais j'incline à croire qu'une information donnée, de quelque type qu'elle soit, perd de son pouvoir d'attraction, même auprès du plus commun des mortels, dès lors qu'elle est répétée à outrance

Il y a sûrement mieux – et plus agréable, en tout cas – que le supplice chinois de la goutte d'eau pour nous enfoncer queq' chose dans le crâne, non?! Je le crains, il n'est pas loin le jour où, pour combler un trois-minutes, l'on osera nous passer «en boucle» la même annonce, et cela, à trois, voire à quatre reprises, la faisant en effet recommencer dès qu'elle sera terminée, sans plus se donner la peine de rien intercaler entre deux «passages»! 

Ne riez pas trop vite de moi ou de ma «prédiction», chers con-sommateurs, pleurer vous sera ainsi moins… péni-i-i-i-i-ble

Jean-Paul Lanouette
jplanouette@sympatico.ca


[1] Il convient de préciser que l'impala est une petite antilope dont on a un jour emprunté le nom pour le coller orgueilleusement sur les flancs arrière des deux modèles haut de gamme des grosses Chevrolet. Tout au bas de l'échelle, il y avait le modeste et dépouillé Biscayne, suivi dans l'ordre par le très moyen Bel-Air, le rutilant Impala et, «top du top», l'Impala SS (Super Sport), chromé d'un «bumpeur» à l'autre… Quant à Bélair et au Bel-Air, allez donc savoir si, par impossible, il n'y en pas un des deux qui aurait inspiré ou déterminé le nom de l'autre!!!
[2] En bon français, il vaut mieux dire nœud papillon.

lundi 14 avril 2003