Quelque
chose, et puis rien…
(Macho
+ métro = zéro!) Quelque chose… […]
Le dos paresseusement appuyé contre les portes pour l'instant non
ouvrantes du métro, «Rod» Royer admire sans vergogne ni retenue le faciès
quasi parfait que lui réfléchit crûment une glace – ou fenêtre –
du côté sortie. Assise en sens inverse de la marche (direction dans laquelle
ça roule), c'est-à-dire s'éloignant
de plutôt que d'aller
vers, la jolie personne au minois ainsi devenu objet de basse
convoitise ne s'est point encore aperçue que, profitant de l'effet
miroir, un macho-sans-Camaro lui
reluque les deux profils à la fois avec une insistance non dissimulable.
L'œil de la regardée est mi-clos et semble trahir une errance de la pensée…
Il n'en faut pas plus au subtil «Rod» pour décréter qu'il doit s'agir
d'une de ces pauvres secrétaires à
tout faire que son patron surcharge de travail et qui, emprisonnée
dans le «zombifiant» cycle métro-boulot-métro-dodo, rentre docilement chez elle cuver son écœurement
et sa résignation à la fin d'une journée bien remplie… et pourtant désespérément
vide. Il
se voit parfaitement trônant à la place du monsieur un peu enveloppé,
« ce gros tas de lard suant et difforme! », qui, bien malgré lui,
occupe impoliment les trois quarts de la banquette où se trouve coincée
l'intéressante : il lui prendrait doucement la main (non, pas à « cette
espèce d'obèse répandu!!! »), lui dirait comme ça, sur le ton de la
confidence, qu'elle a l'air fatiguée, qu'un verre de ceci ou, si elle préfère,
de cela… oui, qu'un verre pris en sa modeste mais plaisante (?!?)
compagnie dans, « vous savez? ce bar ultrachic pour hyperbranchés qui a
façade sur la Saint-Laurent Sud, un peu en bas de Sherbrooke », aurait tôt
fait de la requinquer, de lui redonner du «pep» comme on le disait
encore avant-hier à Montréal, l'ex-métropole hélas détrônée il y de
cela pas mal d'années par Toronto-la-de
moins en moins-pure – note de l'auteur : sait-on jamais, peut-être
que grâce à «une île, une ville» nous pourrons récupérer ce précieux
titre; disons tout de suite que je préfère ne pas «m'embourquer»
là-dedans… Revenons plutôt à notre macho de troisième classe et à
sa proie visuelle. …
Elle aussi l'enverrait paître sans ménagement, c'est sûr! et, soit dit
entre nous, il a bien raison de le croire… « Inutile d'essayer! » Mais
«Rod», nullement découragé, de se mettre alors aussitôt en quête
d'une autre binette féminine, histoire d'en décortiquer le beau ou d'y
constater illico, sans compassion, l'irrémédiable absence
d'attrait frappant. Or, quand la fille est… moins jolie, il essaie de
voir si le reste de sa personne – par exemple, une poitrine généreuse
ou des jambes fines et droites –, si le reste de sa personne,
disions-nous, ne pourrait pas compenser de quelque façon ce qu'il appelle
cet «oubli de la nature», si la demoiselle en question ne pourrait pas
lui plaire… quand même. Plus à plaindre qu'à craindre, ce
type, non? Peu
importe, « Elles me disent toutes non, les garces! » Ouais! la rebuffade
systématique qu'il se sait condamné à essuyer, l'ami Royer, sans plus
jamais risquer la moindre amorce de dialogue avec aucune de ses brèves «compagnes»
de trajet! Voilà
qui force notre macho souterrain à retourner inlassablement s'étourdir
dans son cercle vicié, à continuer de ne
faire que regarder ou contempler les voyageuses qui s'inscrivent à
tour de rôle dans son champ de vision ô combien restreint – forcément
– dans une voiture de métro! […] … et puis rien… «
Mauvais ça, mon p'tit ami, très mauvais! Inutile de poursuivre ma
lecture, d'autant plus que je n'en ai pas la moindre envie. C'est décidément
fort mal barré pour votre carrière littéraire… Z'auriez intérêt à
pas tremper vot' plume dans l'béton : votre prose y gagnerait en
souplesse et en légèreté! Et puis, je suis désolé d'avoir à vous le
dire, ça n'a pas de rythme. Du mouvement là-dedans? Voyons donc!… À
croire que le métro, terrain de chasse de votre "zéro", est
arrêté, figé à jamais entre deux stations de lignes différentes. «
En un mot comme en mille, j'aime pas, mais alors là pas du tout, ce que
vous pondez…, l'opération fût-elle sans douleur pour vous. Ça
vous fait rigoler? Eh bien! sachez jeune homme qu'en vérité j'irais
jusqu'à refuser de me torcher avec votre papier
de crainte de me rameuter les hémorroïdes. Enfin bref, je ne vous
conseillerai même pas d'aller proposer "ça" à quelque autre
éditeur en mal d'auteur, car vous m'êtes malgré tout sympathique.
Pourquoi rendre plus souffrante encore votre désillusion?… En passant,
vous faites quoi dans la vie, hormis commettre des textes malheureux? Égarez-moi
au plus vite ce vilain crayon avant que d'être saisi de l'irrémédiable
crampe de l'écrivailleur! » Encore
heureux qu'il me trouvât sympa, ce vieux chnoque! Vous imaginez un peu ce
que ç'aurait donné si ma gueule ne lui était point revenue?! Et voilà
comment on peut arriver à vous balayer en moins d'une seule petite minute
le travail de six mois «pleins». Ouais! soixante misérables secondes
avaient en effet suffi pour transformer l'œuvre en rebut malodorant, pour
ravaler l'écrivain au rang d'apprenti écrivant, que dis-je? d'«écri-vent»!
Envolé l'espoir. Fini le best-seller. Adieu Académie…
Rebonjour ordinarité plurielle! Jean-Paul
Lanouette samedi 09 novembre 2002
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