Halte à la «mickeymousification» de notre paysage!

– Alchimie du rêve… américain : transmutation d'un joyau naturel en strass de music-hall

            Par cette belle journée estivale propice aux découvertes, permettez-moi de vous convier à une petite virée tout ce qu'il y a de plus virtuel du côté d'une sorte de village-de-Séraphin qu'on aurait repensé de A à Z et «revampé» de fond en comble… 

L'ayant débarrassé de ses crachoirs, barattes à beurre, «bécosses» et lampes à l'huile (ce qui est tout à fait normal et compréhensible : après tout, ne sommes-nous pas déjà confortablement installés dans ce XXIe siècle où nous venons d'entrer de plain-pied?), l'ayant vidé de ses antiquités et autres vieilleries indépoussiérables, disais-je donc, on se serait attaché à nous le resservir, ce village, en version «hyperclinquante», complètement «déquébécisée» – c'est-à-dire n'ayant plus de québécois que son emplacement. Oui! on aurait transformé l'endroit à grands frais en un Disneyland nordique (pour ne pas dire… merdique), genre d'Euro-Disney canadien pour Américains, Japonais et autres touristes pleins aux as, mais pas trop regardants sur le côté authentique des choses et des gens.

            Ce lieu, je me demande bien pourquoi je vous en cause au conditionnel, car, comme disent les enfants, il existe «en vrai» – si tant est, bien sûr, que du toc puisse être qualifié de vrai! Eh oui! il s'agit d'un mégacomplexe récréotouristique d'inspiration hollywoodienne à 100 %, à la fois digne et capable d'accueillir, outre pas mal de beau monde plus ou moins riche et célèbre…, capable d'accueillir cent et une familles Trapp (La Mélodie du bonheur), plus la ménagerie de Disney au grand complet, de Mickey à Goofy, en passant par la vache Clarabelle et le chien Pluto.

Messieurs-dames, vous voici dans ce qui pourrait pertinemment être baptisé Intrawest Village (à prononcer à l'anglaise, of course!)…, perle on ne peut plus synthétique accrochée par «la main de l'homme» au mont Tremblant.

Y'a pas à dire, clientèle richarde oblige, la station de ski Mont-Tremblant dernière cuvée en met plein la vue. L'idée de départ, c'était de faire gober au visiteur-consommateur, «animal» foncièrement crédule, qu'un village alpin ou tyrolien, habitants y compris, avait consenti à changer de continent subito presto pour venir se blottir contre le flanc du plus haut sommet «laurentien», et cela, comme par enchantement, ou grâce à un téléporteur «startrekkien» de format géant (La Patrouille du cosmos). Une illusion permanente, voilà ce que cela a plutôt donné!

            En effet, force est de dire que, pour efficace qu'elle se puisse révéler auprès de certains chalands, la «passe» d'Intrawest ne franchit pas le stade de la grosse magie de foire agricole… Frime de première catégorie, que c'est! Et voilà comment un des plus beaux coins de notre province vient de se faire «chromer» solide, pis de tous les bords à part ça! Qui pis est, cette «métamorphose» à grande échelle opérée sur le mode tape-à-l'œil se poursuit sans relâche…, sinon «grâce» aux billets verts de l'Oncle Sam[1], du moins conformément à un modèle all-American dûment éprouvé (et, tant qu'à moi, sacrément éprouvant!).

Hélas! il ne s'agit point là d'un phénomène isolé! Sainte-Anne (le mont) est également dans le collimateur d'apprentis sorciers ou «disneyificateurs» de tout poil, de même que La Ronde, que l'empire Six Flags[2], déjà propriétaire de nombreux autres parcs à sensations multiples, se propose tout naturellement de hérisser d'un hôtel, «attraction» d’un genre plus terre-à-terre, ô combien! mais où il demeure envisageable de… s'envoyer en l'air avec une «pitoune» n'ayant rien à voir avec le manège du même nom! Autre possible objet de convoitise, récurrent, celui-là : le toujours fédéral quai Bickerdyke, dans le port de Montréal, où, il n'y a pas si longtemps, M. Michel «Loto-Québec» Crête[3] et consorts, prenant le relais des promoteurs éconduits d'un Technodôme aux prétentions futuristes, rêvaient tout haut de déménager le Casino, histoire de poursuivre leur course effrénée et sans fin vers une meilleure accessibilité et, partant, une rentabilité accrue.

            Mais, trêve de digression! Revenons maintenant à «notre» village, si vous le voulez bien. La clientèle ciblée a dit « O.K., j'achète! » et elle en redemande : c'est donc mission accomplie pour Intrawest! Quant au monde ordinaire, il n'a plus qu'à aller se faire voir ailleurs… en espérant très fort gagner au Loto 6 / 49 s'il compte retrouver le privilège – désormais très dispendieux – de se récréer en ces lieux… «magiques», disions-nous. En passant, Loto-Québec aimerait bien implanter un casino à Mont-Tremblant, dans le fief «intrawestien» : façon comme une autre de récupérer les sommes versées aux nouveaux riches qu'elle crée elle-même, et aussi de «plumer» encore un peu plus le touriste au dollar de papier beaucoup plus vigoureux que notre métallique huard… Des projets de société, on en a : « En veux-tu, en v'là! » Vous voyez un peu le topo? Loto-Québec et Intrawest «œuvrant» de concert, en synergie, quoi! Le duo rêvé des rêveurs impénitents… toujours prêts à se ruiner pour entretenir l'espoir de passer à la caisse… un jour!

            À bien y penser, ne serions-nous point là, par une forme des plus insidieuse de snobisme à rebours, en train de décréter que le kitsch américain passe mieux la rampe que notre kétaine québécois, parce que moins vulgaire ou plus rutilant? Ç'a un nom, pareille attitude; ouais! acculturation que cela s'appelle! Acculturation par le bas tant que vous voulez, mais acculturation tout de même, qui, une fois gratté et exploré le fond du baril, ne peut que remonter, finissant non seulement par nous atteindre dans ce que nous avons de plus vrai, de plus profond et de plus intime, mais aussi par aliéner ce qui détermine notre présence au monde. Tant qu'à donner dans le simili à tour de bras, à façade que veux-tu, faisons-le à la québécoise : nous sommes assez grands – sinon assez riches – pour décider de l'allure de notre paysage… Il est impérieux de mettre un frein à la «mickeymousification» éhontée de notre échelle des valeurs, de notre patrimoine culturel et sportif, de nos infrastructures touristiques, de notre environnement, tant physique que psychique.

            Entendons-nous, je n'ai rien contre la culture américaine, pour autant qu'on ne cherche pas à me l'enfoncer de force dans la gorge comme un insipide hamburger à trois étages (expérience déplaisante s’il en est, la «chose» fût-elle accompagnée d’une poutine, création pourtant bien de chez nous, elle!). Non! je n’ai rien contre, dans la mesure où l'on ne s'attache pas à la surimposer à la mienne, de culture, au point de l'occulter tout à fait. En d'autres termes, tant qu'elle se contente de sévir et de se réaliser sur son propre terrain, à savoir les U.S. of A., la culture américaine ne m'indispose pas – je dirais même qu'elle m'intéresse comme phénomène… facilement observable, à tout le moins!

            Il faut nous rendre compte que McDonald's, A&W, Burger King, Wall-Mart, etc., n'ont pas que défiguré et dépersonnalisé nos villes ainsi que nos gros villages : ils nous ont dessiné un paysage tristement uniforme à l'échelle de la province. N'attendons pas les bras croisés la «stellarisation», virtuelle ou réelle, de notre fleur de lys, c'est-à-dire que celle-ci devienne la cinquante et unième étoile sur la bannière tricolore de nos ubiquitaires voisins d'en bas. On n'arrête pas le progrès, c'est sûr, mais cette notion galvaudée n'a pas à être assimilable à un développement sauvage, mené aux seules fins de profit.

            Je vous laisse sur cette réflexion : « Ne peut nous appartenir vraiment que ce qui nous ressemble au moins un peu! A fortiori, ne plus se reconnaître soi-même, c'est déjà avoir cessé d'exister en tant qu'individu ou citoyen à part entière. » Ces propos sont-ils inutilement alarmistes, voire non fondés? Dépêchons-nous de répondre avant que l'avenir ne s'en charge à notre place.

Jean-Paul Lanouette
jplanouette@sympatico.ca 
22 août 2002

[1] L'eussiez-vous cru : Intrawest est une société canadienne «basée» à Vancouver!?!

[2] Eux, leur truc, c'est la «bugsbunnyification»; réglant en quelque sorte leur foulée sur celle imprimée par Intrawest, ils nous proposeront des manèges célébrant Tweetie Bird, Road Runner, Daffy Duck et Cie. Ainsi donc, au lieu de tomber de Charybde en Scylla, nous passerons de la souris (Mickey) au lapin (Bugs), ce qui, aux yeux de certains – dont je suis –, veut cependant dire la même chose, ou presque. Ouais! à moins de nettement préférer un animal à l'autre, nous ne perdrons rien au change, étant sous-entendu ici que nous n'y gagnerons rien non plus, oh! que non!

[3] Par suite d'un savant remaniement – ou plutôt d'une étourdissante «chaise musicale» –, celui-ci a dû céder sa place et ses rêves éveillés à l'ex-pédégé de la SAQ, M. Gaétan Frigon. Tout comme son prédécesseur, à défaut d'être un héros de bandes dessinées ou de dessins animés, m'sieu Frigon s'évertue sans compter à nous extirper du réel «drable» où nous croupissons… pour nous plonger dans un merveilleux aux allures de «signe de piastre». En un mot, autre personnage capable de voir grand… avec l'argent des contribuables!