Une chronique de
 Jocelyn Daneau

lundi 13 avril 2020

Valeur de la vie et déconfinement de François Legault à Donald Trump

Cette chronique aborde un sujet délicat pour lequel il existe une abondante littérature, surtout dans le domaine de l’assurance et de l’évaluation du coût des projets publics : la valeur de la vie humaine. Quoiqu’on en dise, implicitement ou explicitement, c’est cette valeur qui sera principalement mise dans la balance, dans le processus décisionnel visant à déterminer la stratégie de déconfinement ici au Québec et ailleurs dans le monde.

Combien vaut un être humain au Québec? Selon un de mes anciens professeurs à l’Université de Montréal, George Dionne, économiste, spécialiste des questions de tarification en matière d’assurance et aujourd’hui titulaire de la Chaire de recherche du Canada en gestion des risques à HEC Montréal, on parle de 7,1 à 8,5 millions de dollars (2019) par individu. Aux États-Unis, selon Bloomberg, on parle de 10 millions de dollars US (2016).

Là, votre système de valeurs et votre moral sont heurtés. Mais même si vous ne voulez pas en entendre parler, dites-vous que chaque jour, vous participez en continue à cet immense exercice planétaire qui consiste à fixer le coût de la vie humaine, en alimentant le « système ». Ainsi, si vous avez un téléphone intelligent? Un compte Facebook? Un bidule numérique connecté? Alors vous êtes un fournisseur bénévole de données qui aident les mathématiciens, statisticiens, financiers, économistes, actuaires et autres concepteurs d’algorithmes à mettre un prix sur nos vies.

Et ce n’est pas tout. Vous possédez des actions en bourse, un RÉER ou une participation à un régime de retraite de votre employeur? Le point commun de tous ces véhicules de placement, c’est le rendement c.-à-d. l’argent des intérêts que vous voulez obtenir. Mais pour vous donner du rendement, il faut nécessairement que les entreprises qui produisent ces dividendes gèrent leurs activités avec efficacité et efficience, en évaluant entre autres et indirectement la valeur de la vie humaine.

L’exemple classique, c’est la compagnie ferroviaire Montreal, Maine & Atlantic (MMA) responsable de l’accident de train à Lac Mégantic en juillet 2013. Laquelle entreprise était à l’époque, en partie, propriété de la Caisse de dépôt et placement du Québec à hauteur de 13% c.-à-d. de vous et moi. Le Gouvernement du Québec exige en moyenne annuellement de la Caisse, un rendement de 8 % pour couvrir les besoins de la Régie des rentes du Québec. Ce faisant, la Caisse se tourne vers les entreprises où elle détient des actions et leur exige un rendement approprié. Ainsi, une entreprise comme MMA peut être amenée à couper dans l’entretien des voies ferrées pour satisfaire son actionnaire. Ce qu’elle fit. Essentiellement, MMA décida vraisemblablement que l’absence d’entretien tant préventif que correctif était un risque acceptable. Autrement dit, sans probablement avoir fait d’études approfondies, MMA a estimé implicitement qu’une vie humaine valait moins cher que le coût de l’entretien de ses voies ferrées; le tout pour satisfaire les exigences d’un de ses actionnaires, en l’occurrence, la Caisse de dépôt et placement du Québec.

C’est devenu à notre époque, l’un des principaux aspects des grands cycles de la vie que certains historiens appellent, l’aliénation de l’Homme au marché. À ce titre, François Legault et les autres dirigeants du monde entier ne sont pas immunisés contre ce genre de considération, dans les décisions qu’ils devront prendre concernant le déconfinement. Elles seront même au coeur du processus décisionnel.

De même, nous ne serons pas insensibles au critère de la valeur de la vie humaine, qu’on le veuille ou non, dans notre adhésion à la façon dont le Gouvernement du Québec gère la crise du COVID-19 et procédera au déconfinement. Parce que l’on peut dire sans risque de se tromper, que cela aura un impact direct sur le nombre de décès, dans le contexte d’un retour à la normale trop rapide où les plus démunis de notre société pourraient en payer un prix élevé, notamment les personnes âgées.

La classe politique, sans vouloir nier sa bonne foi, pourra vous dire que la vie humaine n’a pas de prix. C’est faux; que l’on pense par exemple à l’entretien des routes. L’actuel drame qui se vit dans les CHSLD en est un autre bon exemple, à 2 niveaux.

Premièrement quant à la gestion elle-même des CHSLD devenue au fil des années, par acceptabilité sociale, des terminus de la vie. Ne soyons pas collectivement hypocrites. Nous avons tout fait au cours des dernières années pour réduire comme société, notre fardeau fiscal. Il faut maintenant vivre avec le résultat de ce choix de société quant au prix que nous accordons à la vie humaine, du moins pour certaines de celles-ci.

Deuxièmement, le gouvernement Legault a répété en plusieurs occasions que 6000 lits pouvaient être débloqués dans nos hôpitaux pour faire face à la pandémie. Pensez-y, 6000 lits disponibles subitement dans un réseau qui depuis des années, à la réputation d’être utilisé à pleine capacité. On le sait, le gouvernement Legault a fait le choix de transférer des individus vers les CHSLD, pour faire de la place aux éventuelles victimes de la COVID-19. Est-ce que les personnes transférées étaient des citoyens de seconde classe, dont la valeur intrinsèque avait diminué à cause des vicissitudes de la vie et de l’âge? Chacun aura sa réponse.

Je ne dis pas que François Legault est insensible à la vie humaine. C’est tout le contraire. Mais il doit prendre des décisions dans les meilleurs intérêts de tous les citoyen(ne)s. C’est ce que l’on appelle la « balance des inconvénients » où le décideur cherche à minimiser les impacts compte tenu du risque associé à chaque décision. Dans le cas de la situation actuelle dans les CHSLD, il semble que le risque et son impact aient été mal interprétés avec les résultats que l’on connaît. Maintenant, il doit prendre des décisions sur le début du déconfinement et son rythme d’implantation, en minimisant le nombre de décès (ex. : Reprise de la construction résidentielle le 20 avril 2020).

À l’opposé se trouve un Donald Trump, qui sous le couvert d’un « America First » est surtout préoccupé par l’évolution de sa fortune personnelle, celle de son clan et de ses riches amis. On assiste donc aux États-Unis actuellement à une politisation partisane du débat supporté principalement par les Républicains qui veulent rouvrir l’économie américaine au plus tôt, sans égard aux conséquences sanitaires. Ce n’est pas très joli et l’on constate une fois de plus, le déclin moral de la société américaine, par le peu de cas que fait son président de la valeur de la vie humaine de ses propres concitoyens.

Jocelyn Daneau, isolé, jocelyndaneau@gmail.com

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