mardi 19 juillet 2011
Une histoire
de tablettes au pays du
Survenant et de Marie-Didace
Si ce n’est déjà fait, la ville
de Sorel-Tracy devrait retenir
les services d’un consultant***
en bibliothéconomie. Son
mandat : « obtenir un
diagnostic sur les bibliothèques
municipales et pour
l’établissement d’un plan de
développement de ces dernières. »
(1) C’est une excellente
initiative! Malheureusement, ce
diagnostic risque d’être de peu
d’utilité. Pourquoi? Parce que
le plan de développement
envisagé devra être en
rupture avec notre système
actuel de bibliothèques.
Pourquoi? Parce que …
« L’objet livre est mort. Dans
5 ans il aura disparu ».
Qui le dit? C’est
Nicholas Negroponte
à la fin de 2010. Il est
le fondateur du Media Lab
du
Massachusetts Institute of
Technology et l’un
des plus grands spécialistes de
l’impact des technologies
numériques sur nos vies.
Triste constat pour quelqu’un
comme moi qui aime les bouquins.
« La bibliothèque à étagères (à
“tablettes”) comme
distributeur de livres est une
organisation du passée ».
C’est l’avis de la majorité des
experts « consultés ».
Déjà, plusieurs bibliothèques
dans le monde se convertissent
totalement au numérique c.-à-d.
qu’elles n’offrent plus de
livres papier. Plusieurs
initiatives sont d’origine
américaine (ex. : Université de
San Antonio au Texas) et
d’autres proviennent de France
comme la bibliothèque numérique
de Toulouse.
Le livre comme objet disparait
graduellement de notre univers
visuel et tactile.
Tout comme disparaissent
l’argent sous sa forme papier ou
métallique, les billets d’avion,
les factures diverses, les
chèques de paye, les photos de
nos albums, les CD, les DVD et
j’en oublie. L’époque numérique
est un autre monde. Le livre
papier se meurt et le livre
numérique s’éveille. Attention!
La lecture est toujours aussi
vivante tout comme la soif de
savoir des humains. Mais la
bibliothèque traditionnelle à
rayonnage comme centre de prêts
laisse la place à la
bibliothèque numérique comme
lieu de socialisation.
Par quoi remplacerons-nous le
livre? Cette réponse vous la
connaissez déjà : par toutes
les tablettes numériques qui se
pointent actuellement sur le
marché. Est-ce que vous avez
déjà eu l’occasion de jouer avec
un iPAD? C’est une pure
merveille technologique et
ergonomique. Il ne faut pas être
devin pour comprendre que ces
tablettes électroniques vont
remplacer rapidement, tous les
ordinateurs portables et les
liseurs électroniques (ex. :
Kindle) de ce monde.
Quelques chiffres? Selon
Gartner, le marché des tablettes
multimédias était de 9,6
milliards de $ US en 2010. Il
devrait croitre à 29,4 milliards
de $ US en 2011 pour une
croissance annuelle de 52 % à
l’horizon 2015. À sa première
année de lancement en 2010, la
folie du iPAD a permis à Apple
d’en vendre 15 millions
d’unités. En 2011, la folie se
poursuit.
On estime aux États-Unis que
47 % des adultes utilisent leur
téléphone cellulaire ou une
tablette multimédia pour obtenir
et consulter de l’information.
Pour sauver du temps, les
individus ne voudront bientôt
plus se déplacer pour aller
chercher cette information. Pour
les livres, ils voudront les « downloader »
peu importe l’endroit et
l’heure. La « bibliosphère »
sera accessible 24/24 et
supportée par des « biblios
hub » (2) comme unités de
prêts de livres numériques.
Ceux-ci seront situés partout
dans le monde comme la
collection Gallica de la
Bibliothèque nationale de
France. Savez-vous que le
journal La Presse devrait
abandonner son édition papier
d’ici 2 ans pour se consacrer à
son site Cyberpresse et
une version iPAD de son journal.
Vous pensez que je vis dans un
monde de science-fiction? Chaque
jour dans le transport en commun
ou ailleurs, je vois des adultes
et des étudiants « piocher »
sur des bidules électroniques.
Observez vos jeunes, vous y
verrez le monde de demain.
Notez que les autobus de la
CITSV ne sont pas WIFI (brancher
sur internet) mais il faudra y
venir rapidement, surtout sur
les Express. Orléans, Via Rail
et plusieurs offrent déjà ce
service.
Le livre coûte de plus en plus
cher à produire, il n’a
fondamentalement qu’une seule
utilisation. Il est statique,
unique et pour certains, assez
pesant. La tablette multimédia
est tout le contraire. Son
potentiel de développement est
infini. C'est pourquoi le
diagnostic envisagé est inutile.
Nous devons immédiatement
nous positionner devant une page
blanche et repenser notre
service de bibliothèque.
Cela pose à court terme une
série de problèmes, allant de la
gestion et la disposition
physique selon un échéancier à
déterminer, de l’actuelle
collection au coût de
l’équipement, du protocole
contraignant pour le maintien
d’une bibliothèque dans chacune
des 2 anciennes villes aux
abonnées plus âgées. À ce titre,
permettez-moi une anecdote. Ma
mère chicanait contre les
caméras numériques parce qu’elle
n’obtenait pas de copie papier
des photos prises par ses
enfants-photographes. Comme elle
n’est pas une ado « techno
full », j’ai pris l’habitude
de lui faire faire des
impressions. Idéalement ce qui
serait le plus simple pour nous,
par exemple, lui transmettre les
photos sur un téléphone
intelligent à écran HD. Là où je
veux en venir? Quand le marché
va décider d’abandonner le livre
papier, il ne se comportera pas
comme un bon fils.
Au Québec pour l’instant, le
livre numérique est en
progression mais peu populaire.
Chez Archambault, le dernier
livre d’Arlette Cousture se vend
actuellement 19,95 $/papier et
14,95 $/numérique. Cet écart de
25% devrait aller en
s’agrandissant et c’est le livre
papier qui va augmenter. Devinez
pourquoi ? L’ère du numérique
est comme un tsunami qui balaye
tout sur son passage, le Québec
et la région de Sorel-Tracy n’y
échapperont pas. C’est un
changement d’époque. On dit
qu’il y a changement d’époque
quand les enfants ne comprennent
pas de la façon dont leurs
grands-parents vivaient.
La bibliothèque de demain sera
un lieu de socialisation.
L’humain y sera son centre et
non les ordinateurs ou le
bâtiment. Elle sera localisée
dans l’axe de circulation des
humains. Idéalement, la
bibliothèque de demain
favorisera l’hédonisme, le
divertissement, la convivialité,
bref, l’expérience sensorielle.
Regardez autour de vous et vous
verrez que vos comportements et
ceux de votre entourage collent
à ce genre de description.
Est-ce que le bâtiment de
l’Église Notre-Dame abritera la
bibliothèque de demain? Il y a
matière à réflexion.
Si j’étais LE consultant*** en
bibliothéconomie, voici ce que
pourrait être le sommaire
exécutif de mon rapport final :
1.
Cesser graduellement mais
immédiatement de faire évoluer
la collection papier des
bibliothèques de Sorel-Tracy et
les fusionner. Débuter la
migration vers le numérique.
2.
Développer un projet de
bibliothèque régionale numérique
incluant nos écoles primaires,
secondaires et le CEGEP (ce qui
évitera les duplications) où les
mots « WIFI », « bibliosphère »,
« biblio hub », etc.
seront les concepts de base.
3.
Développer un projet de
bibliothèque physique en
intéressant des partenaires
privés (ex. : détaillant de
livres, comptoir à café, école
de yoga, etc.) avec l’humain en
son centre.
4.
Gérer le changement, c’est
l’étape FONDAMENTALE.
5.
Intégrer et présenter le tout
dans une vision. Par exemple: « Sorel-Tracy,
livres sur le bout de vos doigts ».
Si nous voulons demeurer
compétitifs, garder nos jeunes à
Sorel-Tracy et attirer de
nouveaux citoyens et de
nouvelles activités, c’est une
voie à ne pas ignorer.
L’implantation de nouvelles
technologies est souvent
financièrement risquée. Vous
vous demandez aussi qui va payer
pour tout ça? Nous! Mais je vous
le dis d’avance et en
considérant l’ampleur
incontrôlée de notre dette
municipale, entre une
bibliothèque numérique et un
projet « baby-boomer » un
peu élitiste et saisonnier de
nouvelle marina/capitainerie
(1,7 M$), mon choix est clair.
J’opte pour le projet
socialement le plus structurant
et porteur d’avenir.
Jocelyn Daneau
Fier citoyen de Sorel-Tracy!
Site internet :
http://jocelyndaneau.com/
Pour commenter directement cet
article :
http://wp.me/p1chFg-4F
*** Mise en garde à nos élus
à propos de l’embauche d’un
consultant. Son mandat doit
être clair et circonscrit quant
aux objectifs et précis quant
aux livrables attendus. Ça
semble être un cliché, mais j’ai
vu beaucoup de mandats se
terminer en queue de poisson
parce que les objectifs de
départ étaient flous ou trop
larges. Attention : un
consultant même inexpérimenté
comprend assez rapidement que
son potentiel de facturation
peut devenir illimité.
Un consultant ne mord jamais la
main qui le nourrit. Autrement
dit, ne lui donnez pas au départ
la réponse que vous voulez
obtenir pour qu’il vous
l’emballe c.-à-d. qu’il vous « package »
un beau « PowerPoint »
(ici, je ne sais pas pourquoi,
je pense à l’Église Notre-Dame).
Enfin, un bon consultant est
aussi un spécialiste pour vous
donner l’heure avec votre
montre. N’hésitez pas à rompre
son contrat si vous voyez que
vous connaissez les réponses
aussi bien que lui ou elle.
(1) Pour éviter une longue liste
de références, le lecteur
intéressé peut retrouver
celles-ci sur
http://wp.me/p1chFg-4D
(2) Hub : Point de rencontre
d’un réseau (en informatique).
En logistique de transport,
l’aéroport de Heathrow à Londres
est un « hub » tant pour
les passagers que les
marchandises c.-à-d. un point de
convergence et de
transbordement.
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